Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jettent l’un sur l’autre « comme deux lions. » Il est banal d’assassiner son beau-père, comme Pandolfo Petrucci, ou son oncle comme Oliverotto da Fermo, ou son mari, comme la femme de Galeotto Manfredi de Faenza. Pour la couronne ! Ce sont des natures indomptables, ou peut-être des natures domptées par l’âpre volonté, l’ambition farouche, une obsédante et absorbante passion ; des hommes, surhommes ou sous-hommes, « qui appliquent une sauvage énergie à poursuivre, non pas des chimères, mais des réalités, et qui arrivent à leur but, parce qu’ils se servent de tous les moyens, même les plus condamnables, » malgré tous les obstacles, contre toute loi et toute foi, en passant sur le corps de leur père, de leur mère, de leur femme, de leur frère ou de leur fils.


II

Voici maintenant le prince arrivé, le tyran lui-même : il exige de son système nerveux un tel effort, il lui impose une tension si continue, qu’il le détraque. C’est toujours un neurasthénique ; c’est souvent un hystérique sanguinaire ; c’est quelquefois un dément absolu, fou de folie furieuse.

La maison d’Aragon, en sa branche napolitaine, en a fourni plus d’un exemple. Alphonse Ier, qui déclare la guerre à sa mère adoptive, la reine Jeanne, — laquelle, d’ailleurs, mérite, par son infamie, tous les châtimens, — est un bon prince, quoiqu’un peu trop prodigue de l’argent de ses sujets et magnifique à leurs dépens, en comparaison de son successeur, Ferdinand Ferrante. Ce successeur, il ne se donna point grand’peine pour le choisir : célibataire endurci, à défaut d’enfans légitimes, il prit un bâtard (né « d’une noble concubine, » dit Paul Jove ; « d’une dame espagnole, » dit Jacob Burckhardt), qui lui parut avoir « le caractère royal, » et qui était peut-être son fils, mais peut-être était celui d’un Murrano de Valence ; déclarant que ce Ferrante serait roi assez légitimement, s’il savait à force d’opiniâtre virtù s’attacher la fortune. Intellectuellement, le choix n’est pas mauvais ; mais Alphonse, pourtant, s’est trompé ; ce n’est pas le caractère, c’est l’esprit qui, chez Ferrante, pourrait être qualifié de royal. « D’une activité infatigable, reconnu comme une des plus fortes têtes politiques, réglé dans sa vie, il applique toutes ses forces, la sûreté d’une mémoire implacable et la profondeur d’une dissimulation