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le Pape et les cardinaux et, ce qui fut pis, fit brûler sur la place un Pape et des cardinaux qui étaient de papier rempli de foin. » On prêche la croisade contre lui tout comme contre les musulmans ; aller en Romagne vaut autant d’indulgences qu’aller en Palestine. « Ah ! c’est ainsi, dit-il aux ennemis qu’il capture ; vous êtes des croisés ; mais votre croix est de drap, et le drap se déchire ; je veux vous marquer d’une croix qui ne s’use pas ! » Cette croix, il la leur fait imprimer sous la plante des pieds avec un fer rouge. A d’autres il dit : « Vous êtes venus pour sauver votre âme ; si je vous lâche, vous retournerez peut-être à vos premiers péchés ; il vaut mieux que dans votre grâce toute fraîche (littéralement : dans votre « tendresse, » — in questa vostra tenerezza — ), tandis que vous êtes contrits, vous mouriez : Dieu vous recevra dans sa cité. » « Cela dit, ajoute le vieux texte, il les faisait écorcher, pendre, décapiter, transpercer, tenailler et mourir divers martyres. » Quelques historiens ou chroniqueurs l’accusent d’avoir, parce qu’ils le priaient de céder, lancé un couteau dans le dos de son fils et tranché la tête à sa fille. Si les faits ne sont pas rigoureusement établis, que l’accusation ait pu être portée sans invraisemblance, cela prouve du moins qu’on l’en croyait généralement capable. Après la reddition de Cesena, par elle pourtant défendue héroïquement, et jusqu’à l’épuisement de la dernière chance, sa femme, une des grandes viragos italiennes, la plus grande avec Catherine Sforza, Marzia, ou Cia degli Ubaldini, n’ose plus reparaître en sa présence : elle attend, pour le rejoindre, que l’adversité l’ait brisé. Aux yeux d’un pareil être, le ciel est vide et la terre n’est pleine que de lui. De sa part, c’est, en vérité, « le déchaînement de l’égoïsme sous ses traits les plus horribles. » Toutefois, par une des contradictions paradoxales qu’offrent aussi un Sigismond Malatesta, un Ferrante de Naples, un Giovanni-Maria Visconti, ses adversaires les plus décidés le reconnaissent : Francesco degli Ordelaffi, le Francesco des croisés et des excommunications, ce même Francesco qui, selon Leone Cobelli, « employait ses heures de loisir à distiller les plus puissans poisons, » malgré ce qu’on savait de lui et ce qu’on en soupçonnait, « était incarné avec les Forliviens et aimé chèrement ; il témoignait une pieuse charité, mariait les orphelines, dotait les pucelles, et subvenait aux pauvres gens de son amitié. »

Mais le prince de ces princes, le modèle des tyrans, — s’il est