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permis de parler de « modèle » dans l’ignoble et dans l’odieux, — Ezzelino da Romano, le troisième, fils d’Ezzelino le moine, et petit-fils d’Ezzelino le bègue, n’avait pas de ces faiblesses. Il reste l’exemplaire et le parangon, en ce qu’il fut le créateur d’un genre dont il s’affirma le maître, et où l’on ne put, après lui, faire mieux, c’est-à-dire pis. « Aucun des imitateurs d’Ezzelino n’a égalé ce dernier, sous le rapport de l’énormité des crimes commis : César Borgia lui-même lui est demeuré inférieur à cet égard. » Paul Jove nous le fait voir « portentum humani generis. » avec « un front obtus et bestial, une pâleur atroce et des yeux de vipère » (mais de ces yeux-là il abuse peut-être un peu, car il les a déjà prêtés à César et il les prêtera encore à d’autres tyrans). Plus simplement, avec son front têtu, ses gros yeux durs, sa large barbe, sa lourde armure aux hautes épaulettes de fer, timbrée de l’aigle impériale en sa qualité de vicaire et de beau-fils de Frédéric II, la hache qu’il tient dans sa droite couverte d’un épais gantelet, Ezzelino a l’air d’une brute. Il est possible qu’étant tout ce que Paul Jove a dit : « vir siispiciosus, vafer, invidus, sævus et semper ad imperium anhelans, » il ait, comme l’évêque de Nocera le note, excellé à entrer dans la peau de tous les personnages, à la façon des comédiens, et appris à changer de figure, presque de personnalité, suivant les besoins du moment, à mentir du geste, de la voix, des yeux, à scruter les cachettes de l’esprit d’autrui, et, par un incroyable artifice de dissimulation, à explorer les sentimens même les plus intimes des hommes les plus rusés. » Alors, le jour où fut dessiné le portrait que nous avons de lui, il s’était composé le visage d’un homme qui ne pense à rien, mais rageusement en colère.

Une basse et sanglante aventure avait précédé le second mariage de son père, Ezzelino le moine, et la naissance de ce troisième Ezzelino qui, « fruit d’un ventre malheureux et d’une criminelle semence, devait (comme il faut le croire), par un prodigieux concours d’astres malins, surpasser en sévices les Phataris, les Denys et les Néron. » Il avait une nombreuse armée où se confondaient toutes les nations, l’Allemand y voisinant avec le Sarrasin. Pour l’entretenir (à présent on ne peut plus que transcrire et traduire), pour entretenir cette armée, il ne se faisait point scrupule, — mais quel scrupule se serait-il fait ? — de « confisquer toutes les fortunes des villes ; condamner et proscrire les citoyens opulens ; dépouiller les temples de