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et il faut toujours prendre cum grano salis les anecdotes qu’elles nous content ; néanmoins, sur l’état d’esprit, sur les façons de penser et d’être, sur le milieu, comme nous disons aujourd’hui, elles nous donnent, et elles seules nous donnent des indications précieuses. Depuis les moralités en quelques lignes par où se terminent ordinairement les petits récits de Franco Sacchetti, jusqu’aux dédicaces ou envois plus guindés qui précèdent ceux de Bandello, il y a là, pour un espace d’à peu près deux siècles, des sources très abondantes.

Chez Sacchetti surtout. « Seigneur est vin de fiasco, fait-il dire à un pensionnaire (provvisionato) de Ludovic de Gonzague, seigneur de Mantoue : le matin il est bon, et le soir il est gâté. » Il faut profiter de l’instant où le prince est en d’heureuses dispositions, mais il est imprudent, insensé, de séjourner longtemps à la Cour. « Reste donc avec les seigneurs a bastalena qui voudra : ce qui est sûr, c’est que, si l’on ne sait pas les quitter, si l’on reste avec eux a bastalena, il est rare qu’on s’en trouve bien. » — « Or considère, lecteur, combien est ignorant celui qui fait longue demeure à la cour d’un seigneur, et comme en un clin d’œil ils se retournent et le défont. Et gare, s’il est dangereux, que, venant à rêver qu’un serviteur le tue, il ne tienne la chose pour vraie et ne le défasse. Et, par conséquent, qui veut se lever du jeu, quand il a la poche pleine, qu’il ne reste pas jusqu’à la fin de la guerre. » Emplir sa poche et s’en aller : autrement, pour rien, pour un petit mot, pour avoir mangé, en temps de disette, du « pain avec du macaroni, » accusation de crime d’Etat, confiscation, et l’on s’en va comme on était venu, tout nu, et il eût été plus sage de ne pas venir, car on ne s’en va pas toujours. Tout est là : savoir saisir l’heureuse disposition de ce prince qui tourne et change du matin au soir. « A qui il arrive de faire une chose ou belle ou laide devant un seigneur, quand il est bien disposé, c’est bien fait... Mais à beaucoup il est advenu le contraire, parce que l’esprit d’un seigneur paraîtra parfois calme, tandis qu’au dedans de lui-même il combat avec diverses gens, et en divers endroits. » Presque jamais, qu’on ne l’oublie pas, le tyran n’est en paix avec lui-même ou avec les autres : le vent dans le feuillage l’émeut ; un bruit de pas, le vol d’un insecte, retentit en son cerveau que ses nerfs ébranlent sans cesse de lancinantes secousses. « Oh ! qu’un seigneur est à recommander, quand par un homme vil lui est faite semblable offense, s’il ne s’en