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grossier ; mais les machinations du cardinal Petrucci contre Léon X et du cardinal Colonna contre Clément VII sont autre chose. A meilleure raison quand le trône ni le prince n’ont rien de respectable ; quand le fondamento de l’Etat est de boue et de larmes ; quand l’institution est récente, quand la légitimité est absente, quand le seul droit perceptible ou imaginable du prince à la principauté est pleinement et exclusivement ce que les Allemands appellent le Faustrecht, le droit du poing, qui est peut-être le plus certain tant qu’il dure, mais qui a le grave défaut de ne pas durer certainement, et qu’efface, qu’annule, avec ni plus ni moins de légitimité, le droit victorieux d’un poing plus fort. Alors, un doux et gai conteur comme Boccace ne se gêne pas pour dire : « Dois-je donner au despote le nom de prince ou de roi et lui obéir comme à un supérieur ? Non, car il est l’ennemi commun. Contre lui je puis employer les armes, les conspirations, les espions, le guet-apens, la ruse ; car il s’agit d’une œuvre sacrée, nécessaire. Il n’y a pas de sacrifice plus agréable que le sang des tyrans. » Alors, tous les autres motifs, tous les motifs « privés, » de conspirer subsistant, — l’offense, le bienfait, la peur, la vengeance, l’ambition, la passion de la gloire, l’extension de la personnalité, l’expansion de l’individu qui vise à se projeter haut dans le monde et loin dans l’histoire, — un motif plus noble encore ou du moins plus général vient s’y mêler : le désir de « libérer la patrie > » du tyran proclamé « l’ennemi commun. » Même en ses assassins illustres, l’antiquité va renaître ; la littérature, l’humanisme, le romanisme vont travailler comme un ferment la pâte déjà pétrie dont se font les conspirations : la conjuration classique se prépare à ressusciter.


III

Classique, ou à demi, plus d’une conjuration l’est par cerlains côtés, à la fin du XVe siècle. Auparavant, les conjurés crient bien dans la bagarre : « Liberté ! liberté ! Mort aux tyrans ! » Mais la libération de la patrie n’est qu’un prétexte dont ils colorent et déguisent leurs vrais motifs. Ces vrais motifs sont des motifs privés, ceux qu’on vient de dire, et quelques autres encore : il n’y entre aucun souci de littérature, l’imitation de l’antiquité n’y est pour rien. Elle n’est pour rien, par exemple, à Florence, dans la conjuration des Bardi et des Frescobaldi