Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa conjuration, à peine esquissée, l’intérêt que, sans elle, elle n’aurait pas. Le tableau que nous en a laissé son ami, Luca della Robbia (non pas le grand sculpteur, mais un autre Luca de la même famille), constitue un document historique de premier ordre, au dire de M. Villari, pour la connaissance « des conditions psychologiques de l’esprit italien en ce temps-là. »

Ici encore, il n’y a qu’à traduire. « Quand, vers le soir, arriva la nouvelle de la prochaine exécution, Boscoli fut très agité. Il prit l’Evangile et le lisait, invoquant l’esprit de Savonarole pour l’interpréter ; il demanda un confesseur du couvent de San Marco. A Capponi qui, presque avec des reproches, lui disait : « O Pietro Paolo, vous ne mourez donc pas content ! » il ne fit pas même attention. Il ne redoutait pas la mort ; la pensée qui le tourmentait était autre. Il lui semblait trouver la force de mourir dans le stoïcisme des philosophes antiques, dans les réminiscences des héros païens, qui exaltaient les conjurations et inspiraient la haine de la tyrannie. Mais il ne trouvait en soi ni la force ni le moyen de mourir avec la conscience tranquille d’un bon chrétien. Se tournant vers son consolateur Della Robbia, il s’écria : « Ah ! Luca, ôtez-moi de la tête Brutus, afin que je fasse ce pas entièrement en bon chrétien. » Et il se désespérait en une angoisse douloureuse. Le confesseur arrivé, Della Robbia alla tout de suite à sa rencontre, lui demanda en secret : « Est-il bien vrai que saint Thomas condamne les conjurations ? » Et, sur la réponse affirmative du frère, il reprit : « Eh bien ! dites-le-lui, afin qu’il ne meure pas en erreur. » Quand le confesseur, voyant la grande agitation du malheureux jeune homme, s’efforça de l’encourager à affronter la mort, Boscoli, aussitôt, répondit avec vivacité : « Mon Père, ne perdez point de temps à cela ; parce que, pour cela, les philosophes me suffisent. Aidez-moi à faire cette mort pour l’amour du Christ. » Mené finalement sur le lieu du supplice, le bourreau, avec une singulière et toscane courtoisie, lui demanda pardon de lui bander les yeux, et s’offrit à prier Dieu pour lui. Boscoli lui répondit : « Fais ton office ; mais, quand tu m’auras mis sur le billot, laisse-moi y rester un peu, et puis dépêche-moi. J’accepte que tu pries Dieu pour moi. » Il avait résolu de faire en cette dernière heure l’extrême effort pour s’unir à Dieu. Le confesseur resta dans l’admiration de Boscoli à ce point que, rencontré dans la suite par Della Robbia, il lui dit qu’il avait pleuré huit jours