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bru le 4 novembre dut la jeter dans des inquiétudes mieux fondées. Il s’agissait d’un court mémoire, publié le mois précédent à Paris par la marquise de Mirabeau et Mme de Cabris, qu’elles allaient distribuant elles-mêmes dans les maisons les plus apparentes et jusqu’à la Cour, dans le cercle de la Reine. La composition en était tout entière de Mirabeau, quoique imprimée à son insu, sinon contre son gré. Elle comprenait un court mémoire à consulter sur l’invalidité de son interdiction, deux consultations plutôt défavorables, et trois mémoires adressés naguère par lui à M. de Malesherbes, où le marquis de Mirabeau était le plus maltraité, mais la diffamation s’étendait aussi à Emilie. On y lisait à la page 20 :


Ici, je me rappelle que j’ai dû vous parler de Mme de Mirabeau, et un reste de sensibilité, peut-être bien placé, m’a fait éloigner de ce moment autant que je l’ai pu. Hélas ! Monsieur, elle est la mère de mon fils, il est des choses que je déposerais dans votre sein, il est des choses que je ne craindrais pas de dire à vous, père des citoyens, et le plus vertueux de mes compatriotes : mais qu’oserais-je écrire ? ce qu’effaceraient les larmes de la honte et du désespoir... Ah ! monsieur, vous en verseriez vous-même d’attendrissement et de pitié, si vous connaissiez toute l’étendue de mon infortune... Celle qui me doit tout, l’honneur et la vie, ne peut rien pour moi, parce que mon père le lui a défendu... Puisse-t-il la défendre aussi des remords qui la doivent déchirer !...


Ainsi étaient rappelées à Emilie les images de son adultère ; et ces images couraient les rues de Paris et les corridors de Versailles ! Son beau-père ne lui en demanda pas le commentaire ; comme sa tactique était d’arguer de faux, en ce qui le concernait, toutes les allégations de son fils, il lui était interdit d’en faire plus de cas, en ce qui concernait autrui. Mais si Emilie avait eu jusque-là l’espérance et le désir de rentrer bientôt chez l’Ami des Hommes, il est à présumer qu’à dater de ce jour elle y renonça ; il lui était plus facile en Provence qu’à Paris de garder le silence sur les imputations énigmatiques de son mari. Le marquis de Mirabeau pouvait feindre devant elle de n’y ajouter aucune foi ; mais comment s’en défendrait-elle auprès de Caroline du Saillant et de Mme de Pailly, dont la curiosité serait à coup sûr plus active ? Il était à craindre aussi que Mirabeau ne renouvelât en les précisant ses diffamations ; Emilie savait qu’il ne subsistait en Hollande que de sa plume, aux gages des éditeurs de libelles. Enfin, il fut arrêté (mai 1777). La comtesse