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les portes du donjon de Vincennes. Une nouvelle lettre de cachet, qui déléguait en quelque façon l’autorité royale aux mains d’un particulier, fixait la résidence du libéré aux lieux qu’il plairait à son père de lui désigner ; Mirabeau ne pouvait donc rien entreprendre dont le marquis ne fût directement responsable. Deux objets principaux sollicitaient son activité : le premier était de dissuader sa mère de continuer ses procès, et Mirabeau y échoua ; le second était de préparer les voies à sa réconciliation avec Emilie, « et de faire un enfant, » ce qui impliquait sa rupture définitive avec Sophie de Monnier et l’effacement de la sentence de Pontarlier. La fille qu’il avait eue de Sophie était morte. « Par un faux honneur qu’on se fait d’être constant, a dit Saint-Evremond, on entretient pendant longtemps les misérables restes d’une passion usée. » Il ne s’agissait plus que d’anéantir, avec ces restes, l’arrêt qui authentiquait les preuves de leur adultère. Il y fallut un procès retentissant, qui se termina le 14 août 1782 par une transaction, homologuée aussitôt : Mirabeau obtenait sa mise hors de cause ; Sophie s’engageait à vivre au couvent jusqu’à la mort de son vieux mari. Fier de ce succès, Mirabeau se retourna vers la Provence. Le 20 octobre 1782, il rentrait au château de ses pères, où le bailli lui avait préparé une réception bruyante et joyeuse, avec sonneries de cloches et boîtes d’artifice. Emilie était alors à Marignane. Elle et ses conseils n’avaient pas attendu les fanfares de l’ennemi pour se préparer à le repousser. Ils pensèrent d’abord à faire revivre et exécuter le décret de prise de corps décerné contre lui jadis à la requête de M. de Villeneuve-Mouans. Ce procédé indigne leur fut déconseillé, mais ils n’y renoncèrent pas sans peine.

Dès les premiers mois de 1781, le bailli, docile instrument des desseins de l’Ami des Hommes, s’était employé à convaincre Emilie du changement total de son mari et de la grande pitié des Mirabeau privés de descendance, Il lui avait aussi représenté l’inconvénient de ses séjours fréquens chez MM. de Galliffet, allant jusqu’à lui dire devant la comtesse de Grasse du Bar qu’on ne saurait bientôt plus sa résidence ni même son nom, qu’on l’appellerait à l’avenir « Mme du Tholonet » et non plus Mme de Mirabeau. Elle ne parut pas entendre ce mot ; mais sa tante en eut un peu de surprise. Le bailli lisait aussi à Emilie des passages de sa correspondance avec le marquis de Mirabeau, où celui-ci