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ici. Je t’assure que tout cela me cause assez d’embarras, et quoique la maison soit grande, elle ne laisse pas d’être remplie... Adieu, ma bonne sœur, tu connais tous les sentimens que je t’ai voués.


M. de Marignane se refusait net à prêter les mains à la mise en liberté de son gendre, malgré les sermens de docilité et de sagesse qu’il en recevait. Que prouvent, objectait-il, — et Mirabeau convenait qu’il parlait d’or, — que prouvent les agitations d’un homme qui veut sortir de prison ? Comme à son ordinaire, il menaçait sa fille de l’abandonner, si elle avait là-dessus une autre opinion que la sienne, et surtout une autre conduite. La comtesse redoutait par-dessus tout de le contrarier. Elle disait à Mme de Vence, qui la conjurait de pardonner à son mari, de l’écouter, de le reprendre : « Je donnerais de mon sang pour l’avoir ici tout de suite, sans débats ; mais cette lutte avec mon père m’effraie. » Il est probable qu’elle tendait l’oreille plus complaisamment qu’à Mme de Vence, à ses tante et cousine de Grasse et à M. de Galliffet, qui lui répétaient : « Qu’y a-t-il de plus joli que d’être veuve à vingt-six ou vingt-sept ans, avec la perspective de 60 000 livres de rente ? » — « Et cette jeune femme, — convenait encore Mirabeau, — n’a pour répondre à tout cela que des souvenirs qui ne paraissent relatifs qu’à un mort, car on est mort ici. » Ici, c’était le donjon de Vincennes. A la fin, tiraillée en tous sens, et d’accord sans doute avec sa conscience, Emilie déclara qu’elle ne demandait pas mieux « qu’on desserrât ses fers, » mais sous la condition expresse qu’une fois libre de ses mouvemens, son mari n’essaierait pas de se rapprocher l’elle. Le marquis de Mirabeau, et Mirabeau encore plus formellement, acquiescèrent. Le marquis écrivit à M. de Marignane :


Je vous donne ma parole d’honneur que de mon aveu, mon fils n’approchera jamais de madame votre fille, que vous ne l’ayez ordonné ou permis. Parvenu à ma 66e année sans avoir trompé personne, je ne commencerai pas à mon âge à être parjure.


M. de Marignane serra cet engagement dans son portefeuille et ne daigna pas en accuser réception, se fiant, tant il était amateur de proverbes, sur la véracité du plus répandu : Qui ne dit mot consent. Le bailli vint lui corroborer de vive voix les engagemens écrits de son frère et de son neveu. Et le 13 décembre 1780, après quarante-deux mois de détention, Mirabeau vit s’ouvrir