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Madame,

Je ne puis qu’être vivement et profondément pénétré de la situation pénible dans laquelle vous vous trouvez, madame, entre l’estime, l’amitié et l’engagement avec M. de la Roque et la tendresse et le respect pour un père qui ne respire que pour vous et auquel vous devez tout. J’ai fait les plus exactes réflexions, comme l’importance de l’affaire l’exige, sur cette imposante alternative pour me décider sur le parti que je devais suivre. D’un côté, il semble y avoir les lois de la justice, de la conscience et de l’honneur, de l’autre, les lois de l’honnêteté la plus délicate : mais, toutes réflexions faites, je vois clairement que la loi de la conscience est pour M. de la Roque, qui ne pourrait refuser de vous épouser, madame, si vous le demandez ; mais si par des raisons justes vous jugez à propos de refuser le mariage ou de le retarder, ni l’un ni l’autre manquent à la loi de la religion, de la justice et de l’honneur.

De l’autre côté, il est bien reconnu que vous manquerez à la loi de l’honnêteté la plus rigoureuse envers M. le marquis (de Marignane], et par-devant le monde entier, et de ma part, si je donnais les expéditions pour votre mariage en secret, il est sûr que je passerais auprès de cette ville, de tous les Français et de toute la voisine Provence pour le plus malhonnête, impudent et le plus imbécile des évêques, et je perdrais parfaitement cette confiance que le diocèse a envers moi, et par les étroites relations que M. le marquis a avec la maison d’Artois qui se trouve à Turin, je ferais moi-même la plus mauvaise et indigne figure auprès de la même maison et de la Cour de notre souverain, d’autant plus que je ne pourrais pas même manifester la seule raison qui me justifierait à quelque égard. Vous pouvez bien imaginer, madame, que je n’ai d’autre partage en ce monde que ma réputation, mon honneur et mon devoir, et, en soutenant un emploi public, je dois en être fort jaloux.

Je ne dois plus rien ajouter, parce que vous avez de l’esprit, des sentimens pour voir toute l’étendue, la délicatesse et les suites de cette affaire, et vous m’en avez donné des marques dans les dernières lignes de votre lettre très obligeante.

Daignez, madame, d’agréer les assurances du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, madame.

Votre très humble et très obéissant serviteur,

CHARLES-EUGENE, évêque de Nice.

Nice, ce 6 mars 1792.


Les Foucard de la Roque s’appelaient plus exactement Focardi della Rocca-sparviera. Spirito Francesco Focardi avait obtenu, le 6 octobre 1772, le fief de Rocca-sparviera ; il en avait reçu l’investiture, le 9 janvier 1773 ; à cette date remontaient donc les origines nobles de l’époux d’Emilie. Aussi M. de Marignane, qui avait tous ses quartiers sans dérogeance, déclarait-il « avec les