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J’ai été malade, ma bonne sœur. J’ai eu du chagrin ; rien ne m’a réussi et mes peines sont empirées. A présent vous reconnaissez bien la femme qui se laisse abattre, qui ne peut plus remuer ni pied, ni patte, et qui n’écrit point à sa sœur, quoiqu’elle l’aime tendrement, et qu’elle soit comblée de ses bontés. A travers mes chagrins et cette espèce de mort morale, je n’en ai pas moins senti vivement l’adoucissement du sort de Victor. Votre absence dans cette circonstance m’a fait une peine que je ne puis vous dire ; un soupir accompagnait chaque démonstration de joie... Si j’en crois vos enfans et les promesses qu’on leur a faites, je serai bientôt dans une meilleure position. Mais j’ai appris au moins à ne plus me flatter, et je subis mon sort avec patience tel qu’il est. Mon père se porte bien ; il est revenu dans son premier asile. Puissé-je un jour le revoir ! Mon fils est environné de cruelles maladies qui attaquent presque toutes les familles ; ce n’est pas là une de mes moindres inquiétudes. Pardon de tous ces détails, mais je connais, mon aimable sœur, votre bonne et ancienne amitié pour moi. Une de mes plus douces espérances est de la voir durer toute notre vie... Adieu, ma bonne sœur, aimez-moi comme je vous aime ; je vous embrasse de toute mon âme.


Emilie avait obtenu sa radiation provisoire sur la liste des émigrés de son département ; mais elle ne parvenait pas à la rendre définitive. La Provence ne l’attirait plus, et Paris n’avait plus à ses yeux son doux prestige d’autrefois. Elle avait perdu pour jamais son joli sourire continuel, le premier de ses charmes et le dernier. De petits malaises, inévitables affronts de l’âge, achevaient de l’épuiser, sans toutefois la rendre maussade. Tout à coup surprise par une maladie aiguë, elle mourut, en quelques heures, à peine âgée de quarante-huit ans, le 15 ventôse an VIII (6 mars 1800), dans la chambre et dans le lit même de Mirabeau, « dont le souvenir lui inspirait chaque jour des regrets plus passionnés. »

Il n’est pas rare que les êtres dont la présence nous a fait souffrir nous laissent inconsolables de leur absence, de leur mort. Mais si l’on s’explique sans peine cette dévotion au tribun disparu, il paraît bien moins naturel que, pour satisfaire aux exigences d’un culte assez chimérique, Emilie ait négligé de rendre les soins positifs dus à son vieux père, à sa mère, au fils unique de son second lit, et qu’elle ait vécu ses dernières années dans l’éloignement volontaire de l’un et de tous ceux des siens qui lui survécurent. M. de Marignane mourut à Aix le 22 octobre 1803, plus que septuagénaire, et Mme de Marignane, le 27 décembre 1814, dans la même ville. Le fils d’Emilie, Charles Foucard de la Roque, « son Charles, » mourut à Marseille le