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27 juillet 1806, âgé de treize ans. Pourquoi Emilie n’eut-elle pas la constance de sacrifier les restes de sa vie stérile à l’égoïsme du vieux marquis, et sembla-t-elle préférer à son propre enfant un enfant aimable et bien doué, mais dont Mirabeau n’était pas même légalement le père adoptif ? Pourquoi, sinon parce que, rappelée trop tard et par une obsession maladive à la conscience de ses devoirs inaccomplis, elle ne pouvait supporter de vivre entre des parens et un fils qui lui étaient à reproche, en qui elle voyait ensemble la cause et l’effet de ses principales fautes de conduite. Elle quitta ainsi le monde comme elle y était entrée, comme elle s’y était soutenue, en préférant des ombres flatteuses, mais décevantes, à des réalités pénibles, mais honorables ou glorieuses.

En 1780, prenant lui-même ses illusions pour des certitudes, le marquis de Mirabeau envisageait avec optimisme l’avenir de sa bru et de son fils ; il les voyait bientôt réconciliés, multipliant les rejetons mâles de la race ; et il écrivait à son frère : « J’ai toujours pensé que cet assemblage bizarre était, au fond, ce qu’il fallait à l’un et à l’autre. A elle, il lui faut des odeurs fortes, des mauvais ragoûts, parfois des passe-temps de singe ; à lui du piquant, du caprice, de la résistance souple ; ils sont à peu près faits l’un pour l’autre. » Mirabeau voyait là-dessus moins superficiellement que son père, à la même époque ; et il a rendu, selon nous, pleine et exacte justice à Emilie, dans cette phrase : « Ni l’âme forte, ni l’esprit élevé, mais née pour être raisonnable, elle l’aurait été, si je n’eusse pas été très fol et d’une volée trop haute et trop inégale pour elle... »


DAUPHIN MEUNIER.