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Sophocle un langage aisé et noble. Ses vers ne sont pas gâtés par le lyrisme à outrance que nous devons aux romantiques et qui serait ici deux fois une faute de goût. Ils sont faciles, colorés sans surcharge et sans empâtement ; quelques-uns sont remarquables d’éclat ou d’harmonie. On ne pouvait mieux présenter à des spectateurs modernes la pièce du vieux tragique. Et le fait est que ceux-ci l’ont acclamée.

Car il ne suffit pas de dire qu’on l’a écoutée sans ennui. Et, à ce propos, comment ne pas noter l’espèce de déni de justice dont les mieux intentionnés d’entre les critiques se rendent coupables en pareille matière ? Chaque fois qu’ils rédigent le bulletin d’une de ces représentations d’œuvres anciennes, ils cherchent consciencieusement dans leur vocabulaire tous les synonymes au mot : respect. Ils portent témoignage pour les égards avec lesquels un public qui sait vivre accueille ces vénérables survivans d’espèces disparues. On dirait, à les entendre, que ce public prête une attention de bienséance à ces propos d’ancêtres qui ne peuvent plus nous toucher. Cela est si loin de nous ! Les conditions de vie, les façons de penser, les procédés de l’art, tout a tellement changé ! Nous pouvons encore admirer ces œuvres consacrées, mais le moyen d’en être émus ?... Ce système d’appréciation est des plus faux. Le plaisir que nous a causé la représentation d’Electre n’a pas été essentiellement différent de celui que nous procure une pièce moderne. Nous avons été pris par les entrailles. Nous nous sommes associés aux sentimens qu’éprouvent les personnages, nous avons partagé leurs inquiétudes, nous nous sommes désolés ou réjouis avec eux. Un exemple le prouvera surabondamment. Le point central de l’action est ici la « reconnaissance » d’Electre et d’Oreste. Electre, — depuis si longtemps ! — prépare un vengeur à son père. Elle fait élever au loin Oreste, entretient avec lui une secrète correspondance : tout doit aboutir à l’instant où le frère et la sœur enfin réunis pourront combiner leurs efforts et accomplir l’œuvre longuement méditée. Cette reconnaissance, si attendue et prévue qu’elle pût être, a remué la salle tout entière ; à l’angoisse a succédé la satisfaction ; un frisson de contentement a couru parmi nous ; les applaudissemens ont éclaté avec une belle spontanéité. Avouons donc que ces vieux chefs-d’œuvre n’ont pas cessé de nous causer le plaisir même que nous demandons au théâtre ; écartons cette prévention admirative qui les relègue dans des sphères supérieures et inaccessibles ! Pensons moins à les respecter et laissons-nous aller plus librement à les chérir ! Leur action directe sur un