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de David Copperfield étaient contenues, tout entières, sans le Sermon sur la Montagne : mais le fait est si certain et significatif que M. Chesterton, malgré son horreur de la banalité, aura bien dû le signaler une fois de plus : sauf à ajouter que, peut-être, il en a été de l’évangélisme de Dickens comme de son « médiévalisme, » et que peut-être ce cœur de poète a toujours aimé l’idéal chrétien pour sa seule beauté, sans réfléchir beaucoup à la source surnaturelle d’où il lui venait. Encore se tromperait-on à croire que Dickens, à la manière de son disciple Tolstoï, ait éliminé de son christianisme tout élément dogmatique, pour ne s’en tenir qu’aux principes moraux. La suite de ses lettres, telle que nous la trouvons dans la grande édition originale de la biographie de Forster, nous révèle qu’il a été constamment préoccupé du problème religieux ; et je ne serais pas éloigné d’admettre qu’il y ait eu dans sa vie un moment, entre les années 1845 et 1847, où il a traversé une crise de conscience assez grave, qui a failli le troubler dans la tranquille assurance de son anglicanisme. De Gênes, en 1847, il écrivait à son ami Forster qu’il avait eu un rêve étrange, dont il s’était ému très profondément : il avait vu lui apparaître une jeune fille morte depuis longtemps, une sœur de sa femme, et cette ombre infiniment chère lui avait ordonné de se convertir à la religion catholique. Elle lui avait dit que « cette religion était celle qui lui convenait, parce que, plus que toute autre, elle entretenait l’âme en contact avec Dieu et la forçait à croire fermement en lui. » Ce n’était là qu’un rêve, et Dickens paraît avoir vite oublié la très vive impression qu’il en avait eue : mais si l’on songe au choix qu’il avait fait, peu de temps auparavant, de héros catholiques pour son Barnabé Rudge, si l’on se rappelle la sensation désagréable que lui avait produite la diversité des sectes protestantes, durant son voyage aux États-Unis, et si enfin l’on rapproche du passage que j’ai cité plusieurs autres passages caractéristiques de ses lettres de la même période, on reconnaîtra que ce rêve de Gênes a été le résultat d’une sorte d’évolution religieuse qui s’est alors opérée en lui, peut-être à son insu, ou tout au moins sans qu’il s’en rendît compte bien exactement.

En tout cas, ses romans et ses lettres s’accordent à nous montrer qu’il est toujours resté « en contact avec Dieu. » Comme il avait gardé, du moyen âge, « le goût des longues histoires et de l’ale brune, » il en gardait une foi chrétienne très naïve et profonde, directement puisée au cœur même du Christ ; et son œuvre est toute remplie de personnages d’une beauté morale si humble et si charmante, depuis le domestique Kit Nubbles du Magasin d’Antiquités jusqu’au forgeron