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Joseph Gargery des Grandes Espérances, que je ne leur connais d’équivalens que dans certaines figures de saints de la Légende Dorée. Aussi l’effet de cette œuvre a-t-il été immense, d’un bout à l’autre de la chrétienté. Ni le caractère foncièrement anglais de sa fantaisie, ni la déplorable insuffisance de ses traductions ne l’ont empêchée de se répandre, aussitôt, à travers l’Europe, et d’y fructifier. En Russie, où Dostoïewsky et Tolstoï n’ont jamais fait que la continuer, en Allemagne, — où, après les romans dickensiens de Reuter, de Freytag, et de Théodore Fontane, le seul roman qui ait eu un succès universel, ces années dernières, le Jœrn Uhl de M. Frenssen, n’était encore qu’une adaptation libre de David Copperfield, — en France même et en Italie, Dickens a joué un rôle important et durable dans l’histoire du roman au XIXe siècle. En Angleterre, le rôle qu’il a joué ne s’est point borné au domaine de la littérature. « C’est Dickens, — nous dit M. Chesterton, — qui a le plus contribué à détruire le régime de la prison pour dettes ; c’est lui qui a chassé les Squeers de leurs écoles du Yorkshire ; et il a laissé sa marque sur l’organisation des fabriques paroissiales, sur l’envoi des enfans en nourrice, sur les exécutions publiques, sur les workhouses, sur la Cour de la Chancellerie. Toutes ces choses, grâce à lui, ont été changées. » Une puissance d’action aussi étendue et aussi diverse ne saurait s’expliquer par le seul génie littéraire : elle n’a été possible qu’à un homme qui vivait « en contact avec Dieu, » à un homme qui s’était imprégné, jusqu’au fond de l’âme, de la parole et de l’exemple du « héros du Nouveau Testament. »


T. DE WYZEWA.