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hargneux qui serait bien aise de nous faire croire qu’un plébéien se trouve toujours mal de se fier à « l’impertinence des nobles. » Suétone nous dit au contraire que Térence n’était pas pauvre, qu’il possédait un champ de 20 jugères (5 hectares), et que sa fille épousa un chevalier romain. On comprend bien qu’il ait été sensible à l’honneur d’être reçu dans l’intimité de ces grands personnages ; mais, pour qu’on ne soupçonne pas qu’il ait eu besoin d’acheter leur bienveillance par de basses flatteries, il s’empresse d’ajouter qu’ils n’ont aucun orgueil (sine superbia), et il le prouve en les appelant sans façon « ses amis. » Ce mot ne laisse pas de surprendre lorsqu’on songe que c’est un ancien esclave qui parle, et qu’il est question d’un Scipion.


III

Il est sûr pourtant, si l’on se rend compte des préjugés antiques, que la présence d’un affranchi dans cette société ne pouvait être qu’une exception ; elle devait se recruter dans un monde différent. Sans doute Scipion, qui avait un esprit large, ne choisissait pas uniquement ses amis d’après leur fortune. Nous savons qu’il en avait un qui était pauvre et qui possédait tout au plus une maison à Rome et un petit champ. Il ne les prenait pas tous non plus dans la haute aristocratie dont il était lui-même sorti ; beaucoup appartenaient à cette noblesse moyenne qui a donné à Rome de si bons serviteurs. C’étaient des jeunes gens à peu près de son âge, qui en général se préparaient à remplir des fonctions publiques, questeurs déjà, ou qui aspiraient à la questure. Il y avait parmi eux plusieurs jurisconsultes, la jurisprudence étant à Rome, dans un état militaire, une des rares professions lettrées. Ils étaient tous bien élevés, distingués de manières, instruits des lettres grecques. Ils lisaient beaucoup et même ne dédaignaient pas d’écrire. L’un d’eux, Fannius, laissa un ouvrage historique ; un autre, Mummius, le frère de celui qui prit Corinthe, adressait de la Grèce à ses amis, plus d’un siècle avant Horace, des lettres en vers, qu’on trouvait spirituelles ; Furius Phikis, qui fréquentait assidûment les savans grecs, devient plus tard un des bons orateurs de cette époque ; Rutilius Rufus a laissé la réputation d’un grand homme de bien. Poursuivi par la haine des fermiers de l’impôt pour avoir