raisonnement, ni à l’expérience. Que signifie cet inconcevable sentiment qui, de tous côtés, repousse le souverain légitime ? Ce peut être un signe de ce que nous craignons le plus vous et moi, car la Providence est bien la maîtresse ; ce peut être aussi un signe pur et simple des erreurs toujours subsistantes qui entretiennent la Révolution. Ma tête tremble devant la première supposition ; mon cœur est tout pour la seconde, et je ne crois pas que ce mouvement du cœur soit à beaucoup près destitué de tout appui logique.
« Le fatal mariage[1] a beaucoup compliqué la question. Vous savez bien, monsieur le comte, que le cuivre seul et l’étain seul ne peuvent faire ni canon ni cloche, mais que les deux métaux réunis les font très bien. Qui sait si un sang auguste, mais blanc et affaibli, mêlé avec l’écume rouge d’un brigand ne pourrait pas former un souverain ? Voilà la pensée qui m’a souvent assailli depuis la déplorable victoire remportée sur la Souveraineté européenne par le terrible usurpateur. Cependant, je crois qu’il y a encore contre lui de puissans raisonnemens. Mais que faire et qu’attendre, tandis que toutes les puissances sont devenues des complices d’une manière ou d’une autre ? Si j’étais Français et résidant en France avec tous les sentimens que vous me connaissez, je vous donne ma parole d’honneur, mon digne ami, que je me battrais de toutes mes forces pour l’usurpateur. Quand on renverse quelque chose, en politique surtout, il faut savoir ce qu’on mettra à sa place. C’est une grande sottise de tuer César pour avoir ensuite un triumvirat, puis Octave, puis Tibère et enfin Néron. Quand la vie de Napoléon dépendrait d’un seul acte de ma volonté, il n’aurait rien à craindre tant qu’on ne me montrerait pas sur le trône celui qui doit y être. La dessiccation de cette branche auguste et précieuse est une épine dans mon cœur, qui ne cesse de le déchirer. Je crois que je vous l’ai dit, mais, je vous le répète avec beaucoup de plaisir : si je devais, en y allant à pied, trouver au Kamchatka une plante capable de donner un enfant à Mme la Duchesse d’Angoulême, je partirais sur-le-champ, et même sans terminer cette lettre, bien persuadé que vous m’en dispenseriez. Il m’a paru quelquefois que vous n’aviez pas assez de crainte sur cet article. Mgr le Duc de Berry badine avec le temps qui
- ↑ Celui de Napoléon avec Marie-Louise.