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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/122

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n’aime pas qu’on le plaisante. Il y en a d’autres, me direz-vous ; pas du tout, à ce qu’il me semble.

« Au reste, mon très cher comte, vous sentez bien qu’à mon âge, on ne change guère de système. Ma philosophie théologique va toujours son train. Tout ce que nous voyons n’est qu’une révolution religieuse. Le reste qui paraît immense, n’est qu’un appendice. Le roi de France était à la tête du système religieux de l’Europe ; il était le pape temporel et l’Eglise catholique était une espèce d’ellipse qui avait un foyer à Rome et l’autre à Paris. Il est impossible de dire ce qu’aurait pu faire le roi de France, dont les devoirs égalaient nécessairement la puissance (car ces deux choses dans le monde, puissance et obligations, sont une équation éternelle). Au lieu de ce qu’aurait pu faire ce grand souverain (je ne prononce comme vous sentez et je ne vois même aucun nom), qu’a-t-il fait ? Il a livré l’Eglise au Parlement de Paris, que je n’ai jamais aimé, à vous parler franchement, depuis que j’y vois clair, et sauf toutes les exceptions que j’honore, malgré une ancienne parenté de robe qui n’a pu me séduire. Il lui a permis d’établir en France comme loi de l’État les quatre propositions de 1682, le plus méprisable chiffon de l’histoire ecclésiastique, et dont l’absurdité intrinsèque saute à tous les yeux qui veulent s’ouvrir ; et dont l’ennemi du monde vient de tirer un tel parti qu’à l’avenir, elles ne pourront plus être défendues que par d’incurables fanatiques qu’il faut laisser mourir. Il l’a permis même, malgré le repentir et le désaveu formel de Louis XIV, que les novateurs étaient venus à bout de cacher aux Français. Il a permis à une secte exécrable de saper tous les principes, d’empester ses sujets qui ont empesté l’Europe et de détruire, complètement et impunément, la souveraineté religieuse et la religion politique. Voltaire surtout reçut du Roi Très Chrétien une espèce de sauf-conduit, en vertu duquel il lui fut permis de blasphémer pendant un siècle dans les États du Roi, pour être ensuite tranquillement couronné dans la capitale.

« Qu’est-il arrivé ? Hélas ! tout ce qui devait arriver. Il faut baisser la tête et se frapper la poitrine. Mais, avec la même franchise, mon cher comte, je vous dirai qu’avec et malgré toutes ces fautes, il n’y avait rien de meilleur que le Roi de France ; qu’il n’a pas connu la moitié du mal commis en son nom et qu’il était entraîné par l’esprit du siècle, qui est plus fort que les