Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien qu’il peut, empêcher le mal qu’il peut et conserver l’espérance jusqu’au moment où elle devient absurde. Cette manière d’envisager les choses m’a toujours rendu, comme vous avez pu le voir, tout à fait tolérant pour tout acte fait dans l’intérieur, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime : à cet égard, la règle est sûre. On doit refuser à l’usurpateur tout ce qu’on refuserait au souverain légitime. Tout le reste est permis et n’a rien d’immoral. Blake disait à ses gens : Mes amis, ne nous mêlons pas de ce qui se fait à Londres. C’est l’affaire de la Providence ; notre métier à nous est de nous battre contre les Espagnols[1]. Et en effet, la Providence sut fort bien se défaire de Cromwell, et les victoires de Blake demeurèrent à l’Angleterre qui révère son nom aujourd’hui un peu plus, que s’il était allé demander du pain à d’insolens étrangers.

« Sur cet article, nous avons été souvent divisés d’opinion, quoique très bons amis d’ailleurs et de la même religion. Je le vois encore dans votre dernière lettre où vous me dites comme une chose décisive contre le comte de Stedting : Gustave IV l’a vu à la porte de son cabinet[2]. Diable, mon cher comte, comme vous créez les crimes de lèse-majesté ! permettez que je n’aille pas si vite. Si vous aviez été engagé, seulement pendant quinze jours, dans le torrent d’une révolution, vous sauriez qu’il entraîne les hommes comme le sable, et que dix hommes se trouvent quelquefois rassemblés avec dix projets différens. Stedting était là ; je le crois, puisque le Roi l’a dit. Je respecte sa véracité autant que son caractère. Mais pourquoi y était-il ? Il y était probablement par la raison qui mène tous les hommes dans les grands événemens : ut videret fînem, comme dit la Passion selon saint Luc : pour voir la fin. Dans toutes ces occasions terribles, il est dans l’homme d’accourir pour voir comment les choses

  1. L’amiral anglais Blake qui vivait au XVIIe siècle avait d’abord pris parti pour Cromwell. Après le procès de Charles Ier, qu’il avait désapprouvé, Cromwell qui redoutait son influence, l’éloigna de l’Angleterre en lui confiant le commandement de diverses expéditions maritimes, qui se terminèrent par des victoires et accrurent la popularité de Blake. La capture des flottes espagnoles, en 1757, y mit le comble et ne précéda sa mort que de peu de temps.
  2. Blacas ne pardonnait pas au comte de Stedting d’avoir été présent au renversement du roi de Suède, Gustave IV, et de ne l’avoir pas défendu contre les révoltés : « Je l’accuse, disait-il dans cette lettre du 30 octobre, à laquelle De Maistre répond, de s’être trouvé à la porte du cabinet de son maître quand on a osé porter sur lui une main sacrilège et de n’avoir eu ni le courage de le défendre ni le courage de l’attaquer ouvertement. »