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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/139

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Mais il y a apparence que, bientôt, on se mordra. Sera-ce un mal ? Je l’ignore et tout le monde, je pense, l’ignore comme moi. Le grand problème européen n’est pas susceptible d’une solution unique,

« La famille de Bourbon est-elle proscrite ou non ? Il y a pour l’affirmative des indices que vous voyez, des indices que vous ne voyez pas et des indices que vous voyez sans les voir. Dans ce cas, tout honnête homme doit prendre le deuil ; tout est perdu pour nous ; l’édifice européen que nous avons vu est renversé sans retour ; il n’y a plus moyen de le relever ; c’est un fait de presque toutes les familles régnantes, et l’Europe est livrée à une agonie de quatre ou cinq siècles, semblable à celle du moyen âge. Mais cette famille peut-elle renaître et se rasseoir à sa place ? Quelques miracles physiques peuvent-ils en produire d’autres d’un autre genre ? Pourrait-il se faire encore que… Mais j’ai peur de vous ennuyer ; mon billet deviendrait trop long. Tant il y a que pour croire à la possibilité de certains événemens, il y a des raisons que je ne puis vous détailler, parce que vous êtes Jacobin. Cependant, je vous aime de tout mon cœur. Toujours, je conserverai l’envie de vous revoir ; mais je compte peu sur ce plaisir. Adieu mille fois, mon cher et très cher comte. Je suis à vous plus que je ne puis vous l’exprimer. Aimez-moi toujours, tout hérétique que je suis. De mon côté, je suis plein de vénération pour le portrait du grand Bossuet par Drevet, grand papier avant la lettre. Après, c’est autre chose, ma vénération et mon admiration continuent ; mais, pour les mettre parfaitement à l’aise, il faut que je rature quelque chose. Je termine par cette impertinence qui est un essai fait sur vous, car si vous m’aimez impertinent, je n’ai plus rien à craindre.

« Je vous serre dans mes bras, cher et excellent homme. »


Le comte de Blacas ne pouvait n’être pas touché profondément par cette lettre où, dans une argumentation révélatrice de son savoir et de ses incessantes observations sur les hommes et sur les choses, Joseph de Maistre le traitait, nonobstant sa jeunesse, comme un égal en expérience et en jugement. Sensible à l’honneur qui lui était fait et plus encore au témoignage d’amitié que lui apportaient ces lignes éloquentes, il y répondait, le 20 mars 1812, par une véritable déclaration d’amour : « Je vous aime de tout mon cœur, non seulement parce que vous êtes très