Il leur a plu d’y joindre ta deuxième de Sainte-Anne. Grand merci ; mais c’est cependant la mettre sous l’autre. Lorsqu’il sera arrivé, je lui ferai connaître votre souvenir qui lui fera grand plaisir, car, à cet égard, il est bien de la famille. Mon fils vous remercie de tout son cœur et vous présente ses hommages. Il est le sixième lieutenant de treize et aide de camp de son général (Preradowitch). Il me ruine, mais sagement, de manière que je n’ai rien à dire. Véritablement, je trouve que son cheval avance peu, quoiqu’il me coûte 1 200 roubles. Il y a dans le service de ces momens terribles qu’il faut laisser passer avec résignation.
« Comment oublierai-je de vous parler des tableaux ! Je vous félicite de les aimer toujours. J’aime les goûts permanens. En achetez-vous, par hasard ? Tant mieux, c’est marque que vous avez de l’argent. Ce que j’aimerais en fait de beaux-arts, c’est qu’il vous plût de me sculpter deux ou trois Puttini qui se nommassent Blacas et que mon fils aimerait lorsque je ne serais plus de ce monde. Mais, sans doute, vous êtes occupé comme le Duc de B… [le Duc de Berry]. Que le diable emporte les affaires ! Je pense bien que le comte de Front est trop anglais pour vous. Vous connaissez assez mes systèmes et mes devoirs pour comprendre que je n’ai rien à répondre au surplus de l’article de votre lettre qui le concerne ! Ah !…
« De grâce, faites-moi savoir de quelle manière a retenti l’événement de Savone[1] dans le pays que vous habitez. L’estampe y a-t-elle pénétré malgré les mesures terribles de B… [Bonaparte] ? Imaginez qu’ici, on s’est cru en devoir d’étouffer la chose et de faire disparaître l’estampe. Cependant une estampe n’est point une preuve. Il est possible qu’un faussaire l’ait fabriquée ; chacun est libre de n’y pas croire et de s’en moquer. Cependant, on a choisi la voie de la suppression et du silence de peur de choquer, ce qui peut fort bien n’être pas du tout de la faiblesse, mais seulement une application salutaire de la sainte maxime : Caresse toujours jusqu’au moment où tu dois mordre.
- ↑ A la suite du Concile National tenu à Paris en 1811, par ordre de Napoléon, plusieurs évêques se rendirent en députation à Savone où Pie VII était prisonnier, afin de lui soumettre les décisions de ce Concile et de les lui faire approuver. On sait qu’il s’y refusa, malgré les pressions qu’on s’efforçait d’exercer sur lui. Des estampes ayant fixé les scènes de Savone, la circulation en fut interdite en Russie, par ordre du tsar Alexandre qui affectait encore de ne vouloir pas déplaire à Napoléon, quoique, dès ce moment, il fût résolu à lui déclarer la guerre.