Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peu après, éclatait la guerre que prévoyait Joseph de Maistre et qu’il déplorait parce qu’il la jugeait inefficace pour le rétablissement de la paix européenne. Cette guerre ne pouvait, à son sens, être utile à la cause des rois, — cette cause qu’on le voit défendre sans relâche, — que si elle était faite non à la France, mais « à Napoléon, personnellement. » — « Il y a deux chances pour nous, disait-il encore : 1° que les Français, las de cette effusion de sang interminable, se défassent du guerrier pour se défaire de la guerre ; 2° que la perte d’une bataille tue le charme qui fait sa force[1]. » Mais, qu’elle dût être inefficace ou non, il la considérait comme fatale et, en effet, déjà Napoléon s’y préparait, Le 24 juin, il franchissait le Niémen. Deux mois plus tard, il entrait dans Moscou, tragique couronnement de ses triomphes épiques, mais éphémères, qui n’étaient que le prologue des défaites écrasantes et fécondes en horreur, que le patriotisme russe et les rigueurs hivernales allaient infliger à ses héroïques soldats. Nos lecteurs connaissent déjà, pour les avoir lues ici[2], quelques-unes des descriptions que ces événemens mémorables suggéraient à Joseph de Maistre, et au milieu desquelles il prodigue à pleines mains les éclats éblouissans de sa joie. Il nous faut passer sur les lettres qui nous les ont fournies. Celle qu’il écrit au lendemain de la bataille de Borodino [la Moscowa], alors qu’on s’attend à voir paraître Napoléon aux portes de Saint-Pétersbourg, affecte plus de calme, un désintéressement voulu. Mais, sous ce désintéressement et ce calme, on devine les émotions d’une âme impressionnable et toujours vibrante, encore que celui qui écrit s’efforce de les dissimuler en parlant avec une égale sérénité du péril qui grandit et de choses étrangères à ce péril.


« Saint-Pétersbourg, 20 septembre 1812. — Mille et mille grâces, mon très cher et aimable comte, pour le charmant présent que vous m’avez fait[3]. Dès qu’il sera décidé que nous pourrons ouvrir nos caisses et tendre nos meubles, je ferai encadrer ces deux estampes précieuses et je les placerai en lieu honorable et visible, comme un objet de ma particulière

  1. Lettre du 28 janvier (9 février) 1812, au roi Victor-Emmanuel. (Correspondance, t. IV, p. 79.)
  2. Voyez Les dernières années de l’Émigration dans la Revue du 1er août 1906.
  3. Les portraits gravés de Louis XVIII et de la Duchesse d’Angoulême.