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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/144

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vénération. Mme la princesse de Tarente m’atteste la ressemblance parfaite du Roi, ce qui me fait grand plaisir. Quant à celle de Madame, la princesse en est moins contente ; elle voit quelque dureté dans la figure. Pour moi, je n’y vois que la bonté, la vertu, la mélancolie et l’Augusticité parfaitement bien mêlées et tempérées. Je ne dis pas que les portraits soient d’Edelinck[1]. Mais, en général, j’aime beaucoup les portraits anglais. Ce qui leur manque quelquefois du côté de la perfection de l’art, ils le gagnent du côté de la vérité et de la naturalizza. Les yeux de la princesse sont admirables, même dans un faible camaïeu. Les yeux de la vertu-femme ont toujours été pour moi un grand spectacle. Ils s’ouvrent, ils se promènent, ils se fixent d’une façon toute particulière, et il y a, dans le fond, je ne sais quoi d’impérieusement doux, qui pénètre sans piquer et qui m’occupe beaucoup toutes les fois que je puis regarder de près. Le chevalier Tron, ambassadeur de Venise à la cour de l’impératrice Marie-Thérèse, lui dit dans son audience de congé : — Madame, j’emporte un grand chagrin dans le cœur, celui d’avoir résidé longtemps en qualité d’ambassadeur auprès de Votre Majesté impériale et de me retirer sans la connaître. — Qu’est-ce que cela signifie, monsieur l’Ambassadeur ? — Hélas ! Madame, c’est que j’ai la vue excessivement basse et que jamais je n’ai osé prendre la liberté de lorgner Votre Majesté impériale. — Oh ! mon cher Ambassadeur, qu’à cela ne tienne ; regardez-moi tant que vous voudrez ; je vous le permets. Alors Tron recula de quelques pas ; il tira une lorgnette de sa poche et se mit à contempler l’Impératrice (qui pâmait de rire) en s’écriant : Bella per Dio ! Bella ! Mettez à cela le geste et l’accent vénitien, il n’y manquera rien. Si j’avais le très grand bonheur de me voir à Hartwell, mon très cher comte, je présenterais humblement la supplique du chevalier Tron, en ma qualité d’aveugle, à l’auguste petite-fille de Marie-Thérèse, à la charge de mettre un genou en terre ; mais je ne dirais pas : Bella per Dio ! car je trouve cela fade : je remettrais ma lorgnette dans ma poche sans dire un mot.

« Vous serez peut-être étonné, cher comte, de lire au commencement de ma lettre, que je n’ose point encore faire encadrer. La chose est cependant ainsi. Tous les paquets sont faits à

  1. Célèbre graveur belge qui vivait au XVIIe siècle.