Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il partit comme officier de choix de l’amiral Bonie, commandant le Rochambeau. Le soir de ce jour qu’il appelait un jour heureux, il télégraphia ainsi :


Père, j’embarque dans douze heures.


La lettre qui suivait nous apprit que la flotte s’ébranlait. L’escadre du Nord était commandée par l’amiral Fourichon, celle de la Baltique par l’amiral Bouët-Willaumez.


Pensez à moi sans reproche. Je ne pouvais, je ne devais plus rester. Vous-mêmes ne l’auriez pas voulu. Ma mère ne me retint pas, cela dit tout. Attendez-moi après la victoire.


La victoire ! on y croyait. En quinze jours Paris se transforma. Les boulevards roulaient des flots humains ; colère mouvante, ardeur patriotique, enthousiasme. Tout se confondait, ce fut un délire, une folie. La Prusse à combattre, la Prusse envahissante, jadis humiliée et vaincue, aujourd’hui provocante et détestée. Les populations de l’Est assistaient au passage incessant de notre armée et du matériel de guerre. Des canons, des chevaux, des troupes. Il en passait toujours. Ces hommes partaient dans un transport d’espoir. Il en passait toujours, toujours, jusqu’à l’heure où un morne silence vint remplacer les chants prématurés de triomphe et de gloire.

Au bord du Rhin on se massacra. Puis on battit en retraite… Oh ! ce retour ! Nous vîmes les revenans lamentables de cette lutte terrible. Et l’armée et l’Empereur ! Tout s’engouffra dans des catastrophes successives. L’Allemagne cherchait sa grandeur dans sa vengeance, elle s’étendit, semblable à un torrent, ravageant et ruinant tout sur son passage.

Les villages en feu, les habitans chassés à coups de crosse ou fusillés. Un silence de mort remplaçant la vie active et saine des campagnes. Je ne parle ni de l’Alsace, ni de la Lorraine…

Les ennemis se répandirent dans le Nord, dans l’Ouest et dans le centre de notre pays. On sait comment Chanzy et Faidherbe, Charette et Cathelineau réunirent les débris de notre armée, enlevèrent les paysans ; l’amiral Jaurès et l’amiral Jauréguiberry se mirent à la tête des marins revenus de la Baltique.

Paris fut investi et condamné à toutes les misères, à toutes les détresses, — d’ailleurs héroïquement supportées, — d’un siège de plusieurs mois.