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absolument de la Précellence et de la Conformité. Ces trois livres sont tout en détails, en observations particulières, en remarques sur la langue, et c’est ce qui en rend l’analyse assez difficile. Les deux derniers d’ailleurs sont courts. Ils sont pleins de menus renseignemens, et par exemple, on y apprend de combien de façons de parler par métaphore, la vénerie, la fauconnerie, la paume ont enrichi la langue commune. En un autre endroit, ce sont les proverbes, dont Henri Estienne est infiniment curieux, sans que d’ailleurs on puisse dire exactement ce qu’il y voit, le moyen d’exprimer en gros, grosso modo, des idées qu’on serait embarrassé d’analyser plus subtilement, ou, comme Erasme en ses Adages, des « résumés, » des abrégés de l’observation et de l’expérience humaine. Il en recherche curieusement l’origine, et il essaie d’en préciser la signification. Il nous fait part enfin de quelques-uns de ses goûts, de quelques-unes de ses habitudes, et il nous informe qu’étant en Italie, les médecins lui conseillèrent de boire de l’eau sur le melon, mais il ne les écoutait pas, et il arrosait son melon « de la meilleure malvoisie qu’il pût trouver. » C’était sans doute en souvenir d’Anacréon Téien. Mais le véritable intérêt dotons ces ouvrages est ailleurs, et à ce moment du siècle où nous sommes, entre 1570 et 1580, c’est ce qu’il importe de noter.

On y voit en effet comment, au prix de quel labeur, souvent ingrat, toujours méticuleux, la langue française est entrée dans la voie de son perfectionnement. Des générations entières de philologues et de grammairiens ont étudié l’un après l’autre, sans beaucoup de méthode, mais constamment et passionnément, tous les mots de cette langue. Sa « défense » et son « illustration » ont été l’objet de plusieurs générations d’écrivains, et comme on dit que la fonction crée l’organe, ce qui est assez douteux, ils ont fondé sa « Précellence » en y tendant ; — et ceci est certain. Rien de grammatical n’est tout à fait indiffèrent à la perfection d’une langue, et en matière de « bien écrire » ou de « bien dire, » il n’y a point de subtilités. Ainsi qu’on le dira plus tard, le « pouvoir d’un mot mis en sa place » est toujours considérable, et, d’une pensée juste, pour faire une sottise, ou du moins une « naïveté, » il suffit, non pas même d’un tour malencontreux, mais d’une rencontre de sons imprévue et fâcheuse. C’est ce que sait Henri Estienne. Il sait qu’en comparant des sons et en pesant des syllabes, il travaille à quelque