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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/177

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Que chaque paquebot m’apporte une lettre de toi, ma sœur, ne me cache rien, — dis-moi bien tout, tout. — Que pensent les docteurs Trélat et Potain ? Espèrent-ils quelque chose ? hélas ! hélas, mes pauvres chères !…


Un autre jour :


Le pays est magnifique. Comme je voudrais pouvoir vous envoyer quelques-uns des degrés de chaleur dont je me passerais sans souffrir. Il paraît que l’hiver est rigoureux en France.


Ce qu’il nous taisait, c’était le danger d’un soleil de feu[1]. Pendant les vingt-cinq mois que Robert passa dans l’atmosphère embrasée de la Guyane, il ne soupçonna pas que le principe de mort qui devait si rapidement l’enlever germait en lui sourdement, sûrement. Heureusement aussi, nous ne savions pas. Les anxiétés de chaque jour nous étreignaient absolument, et nous n’imaginions pas un autre tourment. Après cet hiver, vint le printemps, puis l’été. Que nous étaient les saisons, les choses extérieures ? Un seul fait, simple, mais terrible, nous dominait. La mort s’emparait de celui que si longtemps nous lui avions disputé.

Calme et croyant, mon père entra in viam visionis, s’approchant de ce Dieu consolateur et juste qu’il avait loyalement servi. Il nous quitta, non sans douleur, mais sans défaillance ; son dernier regard fut pour ma mère, son dernier mot, le nom de mon frère.

Ensuite, son noble visage se voila d’ombre et parut plus beau dans sa rigidité. Son unique main reposa sur son cœur désormais apaisé. Plus un battement, plus une souffrance, plus rien, — la mort.


VIII

L’existence séparée amène parfois de cruels contrastes. Au moment où le courrier français fut apporté abord, mon frère ne s’y trouvait pas, et dînait chez le gouverneur de *** où les dépêches lui furent apportées. Il ouvrit rapidement ses lettres. « Je l’ai vu pâlir, écrivait Mme L…, et lorsqu’il vint prendre congé, on sentait en lui une inexprimable angoisse. »

  1. « Ce climat est l’un des plus chauds du globe, dix-huit à vingt degrés dans les heures et les saisons les plus rafraîchies. Excès d’humidité venant du sol, du ciel et de la mer ; fièvres intermittentes et pernicieuses. L’insensible et progressif affaiblissement humain ne peut être combattu ; la chaleur épuise les forces par sa continuité. Tous les ressorts de la vie intellectuelle se fatiguent avec ceux de la vie physique. »