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Vicomtesse H. B… en France.

4 août 1876.

Madame,

Permettez-moi de vous adresser cette lettre en vous priant de la communiquer à ma mère si toutefois vous le jugez à propos………… ensuite je me retirai. Mon canot, en me reconduisant à bord, semblait ne porter qu’un cadavre. J’étais anéanti. Je vivais la vie de mon père ; surtout je voyais sa mort et restais ainsi plus abandonné, plus dénué qu’on ne peut se l’imaginer.

Les pages écrites par ma sœur où ses larmes élargissaient les mots, — agrandis dans leur sens comme dans leur forme, — me brûlaient les yeux. Pour être tout à ma douleur, il me fallait une solitude complète. Où la trouver, sinon en pleine mer, en pleine nuit, en plein ciel ? Ah ! ce ciel si vaste, si haut, je le regardais, car c’est là et non plus en France que je trouve mon père. Sans me lasser je contemplais ces infinies profondeurs où notre âme monte invinciblement à chacune de ses douleurs.

Dès la pointe du jour, je dus quitter l’espace et revenir à bord. Ne suis-je pas commandant et forcé au souci des hommes, à d’impérieux devoirs ?… Puis, madame, je descendis chez moi, relisant toutes ses lettres. J’y trouvai la sagacité de ses conseils, sa force morale, sa raison solide, droite, élevée, toute la loyauté de son âme. J’ai compris, comme jamais auparavant, ce que valait son cœur, ce que je lui devais, ce que je perdais en le perdant. Alors seulement j’ai senti tout ce que j’aurais voulu lui témoigner d’amour pour son amour de père, et mon cœur, à moi, se fondait d’impuissante douleur en de stériles larmes.

A huit heures, je repris la mer et me fis conduire à terre, à la cathédrale. Pendant la messe je priais… je les voyais tous trois. Lui dans la paix éternelle, elles dans leur désolation.


La lettre qu’il nous écrivit ensuite est trop intime, trop déchirante pour que je puisse la reproduire. Il insista beaucoup pour connaître les discours prononcés sur la tombe de son père. « Mon père !… Je ne le donnerai plus jamais, ce beau nom de père ; pour vous deux, mes plus chères affections, je suis votre fils, votre frère, mais surtout votre ami. »