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Les contemporains de miss Bradstreet qui, au cours du XVIIIe siècle, s’adonnèrent à la versification, furent en majorité des pasteurs. L’un d’eux rima la théologie de Calvin : fatalité du mal, tristesses et afflictions en ce monde, tortures des damnés. Un autre produisit une traduction métrique des Psaumes. Un troisième choisit la conquête de Chanaan comme sujet de son poème. Dans la forme, ces débutans reflétaient les poètes anglais qu’une culture incertaine leur avait donné l’occasion d’approcher. Pour le fond, on se cantonnait dans le choix d’épisodes inspirés par la discipline judaïque du Vieux Testament : la croyance en « un Dieu Vengeur, » l’épouvante de la mort, la tentation des péchés de la chair, enfin l’expiation sans pardon. Or, depuis le temps où chantait le vieil Homère, la poésie n’a point varié les thèmes qui firent immortels quelques poètes privilégiés : l’amour, la guerre, la nature ont été les sources naturelles de l’inspiration. Mais le contrôle que les Puritains exerçaient sur leurs sentimens, l’exaltation morale où ils avaient monté leurs esprits, excluaient de leurs rêves tout amour capable de rayonner en beauté. Les guerres que ces infortunés durent entreprendre durant les cent cinquante premières années de leur établissement furent de misérables luttes contre des sauvages, presque des corps à corps, que ne soutenait nul enthousiasme héroïque, mais le très rudimentaire et très prosaïque instinct de conservation. Quant à la nature, qui aurait pu se manifester à des regards contemplateurs dans une splendeur virginale, évocatrice de songes, elle apparut aux premiers pionniers comme l’ennemi le plus violent, l’adversaire le plus redoutable qui s’opposât à leurs entreprises. Et c’est pour cela que leurs premiers poèmes, au lieu de nous communiquer l’angoisse dont ils débordent, se révèlent monotones, mornes et durs.


II

On a pris l’habitude d’accoler au nom de William Cullen Bryant l’épithète de « Père de la poésie américaine. » Il doit ce titre et cette place en tête des recueils d’abord, à ce fait que ses ouvrages éveillèrent les premiers un intérêt général et durable, ensuite à la fortune qu’il eut de naître quelques années avant d’autres versificateurs dont les écrits valent les siens. Aussi bien, n’est-ce pas Bryant, mais Whittier dont l’œuvre apparaît comme