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nettement marquée des caractères qui sont ceux mêmes de la poésie américaine.

Bryant était né à New-York ; jeune, il avait voyagé sur le Continent. Il eut du goût pour la vie et connut des amitiés que ne soupçonna pas le quaker Whittier dont la jeunesse s’écoula loin de tout contact mondain, et qui enferma dans son cœur, comme dans un calice, toute la virginale froideur de la Nouvelle-Angleterre.

John Greenleaf Whittier naquit en 1807 sur une ferme de la vallée du Merrimack. C’est un district du New-Hampshire qui a du pittoresque et de la beauté. Mais la terre n’y est pas clémente à ses cultivateurs ; ils doivent s’épuiser de travail afin de produire ce qu’il leur faut pour subsister. La famille Whittier habitait une petite maison de bois ; au dedans, c’était la mère qui pourvoyait à tous les besoins du ménage ; les hommes vaquaient aux travaux du dehors. Plus tard, parlant de ces années inquiètes que mena au milieu des champs sa jeunesse d’ouvrier agricole, Whittier dit : « De bonne heure la beauté de la nature fit de l’impression sur moi et, d’autre part, la beauté morale et spirituelle des saintes vies que me retraçaient la Bible et d’autres livres pieux m’inspirait le désir d’un état meilleur que le mien. » La bibliothèque des Whittier était composée en tout d’une trentaine de volumes qui traitaient uniquement de matières religieuses. Les enfans avaient introduit, dans cette rigide compagnie, un exemplaire d’Ivanhoé. Ils le lisaient la nuit, à la lueur d’une chandelle, enfermés dans un placard ; mais le sentiment de leur faute gâtait leur plaisir. La seule distraction de cette famille de Quakers ou, comme on disait, d’ « Amis, » était une lecture et une controverse quotidiennes dont les versets de la Bible fournissaient le texte. Il arriva, au cours de l’interminable hiver, que le maître d’école du district vint faire la lecture aux dames Whittier. Ainsi il fut donné au futur poète qui écoutait en rêvant, les yeux fixés sur la flamme, d’entendre pour la première fois les vers de Robert Burns. Ce fut comme un appel auquel son âme répondit, mais les vers qu’il écrivit à cette époque reflètent une crudité de pensée qui décourage de les citer. Il y a plus de profit à noter quelques traits de la vie de ce poète adolescent. Ils montrent, en effet, dans quel cercle étroit les principes d’une éducation puritaine devaient réprimer l’élan d’une semblable nature.