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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/206

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Des bœufs tardifs passaient alors, comme aujourd’hui,
Traînant les mêmes chars qu’un pâle bouvier mène,
Et le soir étirait la Campagne romaine
Dans le même fébrile et radieux ennui.

Bientôt Rome, au-dessus des cyprès et des vignes,
Jetait au même endroit sa nocturne clarté ;
Un même vent ridait le gazon argenté,
Et les coteaux voisins courbaient les mêmes lignes…

— Peut-être alors, assise, et le front dans la main,
Un peu triste malgré la fortune prospère,
Sentait-elle, en songeant au jardin de son père,
Cet éternel regret qui souffre au cœur humain,

Et peut-être, matrone aux ambitions âpres
Qu’enfin lassait le joug désiré du pouvoir,
Pleurait-elle ces jours heureux où, sans savoir,
Elle cueillait enfant les sorbes et les câpres…

Tant d’heures ont passé depuis, que par moment
Sa vie a l’air, au loin, d’avoir été plus brève,
Et que, l’esprit perdu sur les confins du rêve,
On se prend à douter qu’elle ait vécu vraiment ;

Et lorsqu’on voit, parmi sa maison ruinée,
Le peu qui survit d’elle en ce champ déblayé,
On se demande, avec une tendre pitié,
Pourquoi même, devant mourir, elle était née.

Quand, femme, elle songeait et se voyait enfant,
Il lui restait à vivre encore sa vieillesse :
Aujourd’hui sa vieillesse est comme sa jeunesse,
Et se confond là-bas dans un pareil néant…


Et ce sera pour nous un jour comme pour elle :
D’autres peut-être, ici, se souviendront de nous
Avec le même étonnement pensif et doux
Et la même pitié tristement fraternelle.