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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/212

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Par ce jour humblement quelconque en vérité,
On verse à flots le sang dans les lointaines Chines,
Des ouvriers sont broyés vifs par des machines,
Des forçats frissonnans rêvent de liberté.

Des navires perdus sur quelque mer déserte
Sombrent, les flancs ouverts par un obscur îlot,
Et c’est l’heure où, glacé, le dernier matelot
Coule et sent dans sa gorge entrer l’eau froide et verte.

Et des malades, seuls, sans gestes et sans voix,
Agonisent au fond des hôpitaux moroses,
Emportant à jamais sous leurs paupières closes
Ce même bref rayon de soleil que je vois…

Partout des cris, des pleurs, l’horreur, la peur, l’angoisse.
Partout le mal, partout la mort en ce moment ;
Partout le vieux Destin qui tord distraitement
Les âmes et les corps comme un papier qu’on froisse.

Et peut-être, priant ou bégayant au sort
De pauvres mots naïfs de plainte et de reproche,
Il est en ce moment, dans la grand’ville proche,
Vingt mères à genoux devant leur enfant mort…

Et tout à coup je sens jusqu’en ma chair profonde,
Sous ce jour opalin qui m’effleure les cils,
Aboutir à mes nerfs désespérés les fils
De toute la douleur qui souffre dans le monde !


FERNAND GREGH.