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deux ou trois passages, quelque chose de plus. On y voit reparaître, sous des formes toutes modernes, le vieux fond de notre race. Notre génie ou notre « tempérament » peut se reconnaître là tout seul, si ce n’est tout entier. Oui, cette musique est nôtre par la clarté, l’élégance et la mesure ; par le sentiment et l’esprit, par la qualité surtout et comme par le degré de l’un ou de l’autre. Elle est à nous, elle est nous, parce qu’elle touche, parce qu’elle porte juste au lieu de frapper fort. Française, très française musique, on ne saurait trop s’en réjouir ; mais, hélas ! (et l’on ne saurait s’en plaindre assez), telle que deux ou trois musiciens de France à peine seraient capables d’en composer de pareille, ou d’analogue seulement, aujourd’hui.

Ici rien ne dépasse ou ne grossit le sujet. Pleine de tact et de goût, l’œuvre, autant que distinguée, est discrète. Dans toute la partie de sentiment, voire de passion, car celle-ci n’est pas absente, on ne trouve pas trace d’exagération ou d’emphase. La voix de Mme Chrysanthème, celle de Pierre surtout, peut bien s’élever de temps en temps ; mais elle ne s’enfle jamais. Les duos : celui du premier acte et celui même du second, plus chaleureux et plus lyrique, sont tout en nuances fines. Il suffit, pour la vérité des caractères, que le rôle de la petite geisha baigne dans une sorte de mélancolique et tendre demi-teinte, que celui de l’officier porte ça et là, comme à la cime d’un air ou d’une mélodie, un accent, une flamme brève de jeunesse, d’enthousiasme et d’amour.

Française par l’exactitude avec laquelle elle se rapporte au sujet, aux personnages, la musique de Madame Chrysanthème ne l’est pas moins par les élémens spécifiques, je veux dire par les thèmes, les rythmes, les harmonies, qui la composent. A cet égard encore, elle n’a rien d’italien, ni d’allemand. Rien non plus, et ceci est très particulier, rien, absolument rien de japonais, ou seulement d’oriental. L’exotisme, a-t-on dit, est le goût des choses éloignées et rares. Or la musique ici nous donne la représentation, l’illusion au moins de ces choses-là par des formes toutes proches de nous et qui nous sont familières. Le compositeur de Madame Chrysanthème n’emprunte pas à l’Orient une gamme, une cadence, un accord. Avec cela, ou sans cela plutôt, son œuvre nous cause l’impression de la couleur locale : couleur vague sans doute, et de lieux incertains ; impression pourtant qui nous dépayse et nous transporte, en rêve, très loin. Un détail, un seul, dans la partition de M. Messager, pourrait paraître typique, ou topique, sans que d’ailleurs il soit le moins du monde indigène. A certaine phrase, piquée et sautillante, de Madame