Pacifique, — et les cieux constellés, sur la passerelle d’un vaisseau, le lieutenant que vous savez est de quart. Yves, son frère, se tient auprès de lui. Leur causerie familière évoque tour à tour la chère et lointaine Bretagne, le Japon inconnu et prochain. Mais la musique, encore mieux que la parole, est la véritable évocatrice de l’une et de l’autre terre, des astres, de la nuit et des flots. Des accords très lents, très doux, égaux en durée, que l’enharmonie ou le chromatisme dégrade, s’étendent, s’étalent longuement. Au-dessus d’eux, et comme à la surface des sons, traînent des fragmens de mélodies ; le chant d’un gabier, d’un gabier breton, soupire là-haut parmi les vergues.
Soudain le style change. C’est du Japon que parlent l’officier et le matelot. Mais chacun des deux en parle à sa manière. Quelle différence a su faire, quelle distance a su mettre la musique, toute la musique (thèmes, rythmes et sonorités), entre les deux interlocuteurs, entre leurs caractères ou leurs âmes ! Chez l’an, rien que gaieté naïve, un peu puérile, vivacité, promesse de plaisir et de fête. Chez l’autre, tout cela se fond, pour ainsi dire, et s’attendrit en un rêve, en un trouble mélancolique et tendre, en un pressentiment, à la fois craintif et charmé, d’aventures nouvelles et d’exotiques amours. Oh ! l’inquiète et délicieuse évocation de la mignonne épousée, de la demeure bizarrement nuptiale ! « Dès l’aube on remplira la maison de bouquets… » Trois ou quatre mesures tout au plus, quelques accords, un brin de mélodie, et voilà plus de fleurs, plus de parfums, et de plus pénétrans et de plus étranges, qu’une scène entière de Madame Butterfly n’en répandit jamais.
Mais bientôt, à ce Japon qu’il devine, s’oppose, dans le cœur partagé du jeune homme, la Bretagne qu’il ne saurait oublier. Du sein des harmonies initiales et qu’on pourrait appeler marines, une plainte s’élève, presque un sanglot. Combien M. Jules Lemaître avait raison, lorsque naguère, à propos de Loti justement, il discernait dans l’exotisme un élément douloureux ! « Tandis que nous imaginons, disait-il, de nouveaux aspects de l’univers, il arrive qu’une fois bien entrés dans ces visions, nous y sommes mal à l’aise et vaguement angoissés, nous y sentons le regret nostalgique des visions connues, familières, et que l’accoutumance nous a rendues rassurantes. »
Cette angoisse et cette nostalgie, il semble bien qu’ici la musique en exprime seulement l’approche ou la menace. Elle nous en fera sentir plus loin (premières scènes du troisième acte) la présence même et la réalité. Si calme et si pur, si simple surtout de mélodie que soit le chant à deux voix de Chrysanthème et de sa compagne, des harmonies