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siècles et de toutes les races, la musique enfin la plus éloignée de nous dans le temps et dans l’espace, voilà le royaume de M. Bourgault, ou son univers. Musicien de l’histoire et de la géographie, il le fut encore, par exemple quand il écrivit certain Hippopotame, de la zoologie elle-même.

Mais ce qu’il va chercher si loin, deux fois si loin, de notre temps et de notre pays, M. Bourgault-Ducoudray nous le rapporte. Sa plus ardente, sa plus noble ambition n’est que d’accroître et de renouveler, avec les rares trésors, par lui découverts et conquis, la richesse, la beauté de notre art national et moderne. Plus d’une fois, et dans Thamara surtout, il y a parfaitement réussi.

Le sujet de la pièce est très simple et, comme on devait s’y attendre, exotique. C’est l’histoire, — un peu déplacée, ou dépaysée, — de Béthulie, de Judith et d’Holopherne. Judith s’appelle seulement ici Thamara ; Béthulie est devenue Bakou la Sainte, au bord de la mer Caspienne ; Holopherne a pris le pseudonyme persan de Noureddin. Autre différence, celle-là de sentiment ou de psychologie passionnelle. A peine en présence du sultan, ou du schah, qui parle d’amour à sa farouche visiteuse, Thamara s’éprend du vainqueur et lui cède. Mais aussitôt revenue à elle, elle ne l’en égorge pas moins, comme elle l’avait et se l’était promis ; puis elle rentre dans la ville délivrée et se poignarde à son tour. De la Judith biblique ou de la Judith caucasienne, je vous laisse décider laquelle, en fin de compte, a le mieux agi, sinon pour sa patrie, chacune ayant sauvé la sienne, au moins pour son agrément personnel et sa propre gloire.

Double musicien, artiste et savant, disions-nous de M. Bourgault-Ducoudray. Son dualisme apparaît encore d’un autre point de vue et sous un nouvel aspect. Cet exotique est un classique ; ce curieux, un fidèle, et la fleur étrange de cet art plonge ses racines dans le terrain de la tradition et des chefs-d’œuvre consacrés. De là vient que, dans la musique de Thamara, nous voyons deux élémens alterner et se fondre tour à tour, sans que jamais rien de heurté résulte de leur succession, ni rien de confus de leur mélange.

Le premier acte, plutôt peut-être en style d’oratorio que d’opéra, ne se compose guère que de chœurs. Bien construits, bien ordonnés, quelque peu monotones, ils ont de l’ampleur et de la force, de la carrure et de l’aplomb. Ils font songer parfois à Haendel et plus souvent à Meyerbeer. Mais déjà, dans un discours du grand prêtre présentant au peuple la vierge élue pour sa délivrance ; dans le noble serment de la jeune fille elle-même ; plus encore dans les conseils insidieux,