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ces pages. La vérité est que le ton, volontiers oratoire ou même lyrique, de certains fragmens du Génie, se prêtait assez aisément à des « utilisations » de ce genre.

Enfin, deux autres fragmens de ce même discours sont vraiment inédits, ou du moins, — car il faut toujours prendre ses précautions en pareille matière, — je les crois tels, ne les ayant retrouvés dans aucun des ouvrages de Chateaubriand. Ils sont assez longs et assez intéressans pour être tirés de l’oubli.

Le premier sert comme d’introduction ou de prélude au long extrait du Génie du Christianisme que Chateaubriand a inséré dans le discours d’Eudore :


C’est donc la condition peu élevée de Jésus-Christ et de ses disciples qui attire au Sauveur du monde les mépris d’Hiéroclès ? C’est en cela même que consiste la merveille et je le montrerai tout à l’heure. Notre accusateur ne peut nier les vertus du Fils de l’Homme, mais il ajoute que Socrate avait prêché la même morale. Non, Hiéroclès, la morale de Socrale ne fut jamais aussi tendre, aussi sublime que celle de mon divin Maître ; vous le verrez bientôt. Par quelle dérision impie vient-on opposer les miracles d’un Apollonius aux miracles de Jésus-Christ ? Ah ! si j’avais la foi et la vertu des premiers chrétiens qui avaient vu le Rédempteur, et qui semblaient avoir retenu quelques rayons de sa gloire, je ferais sortir du tombeau le lépreux, le boiteux et l’aveugle ! Prince, ils paraîtraient devant votre trône et vous diraient mieux que moi quel fut le Dieu qui les guérit !

Toutefois, j’essayerai de vous le faire connaître.


Le second fragment, le plus important, est une sorte d’abrégé de « l’histoire du peuple d’Israël. » La célèbre formule de Renan sur le désert essentiellement monothéiste s’y trouve déjà, sinon en propres termes, tout au moins comme pressentiment très net, plus net même, ce me semble, que dans le texte imprimé[1]. Voici cette page, dont cinq ou six lignes à peine ont passé dans la rédaction définitive : nous soulignons d’ailleurs au passage ces lambeaux de phrases conservés :


— Princes, je commence par les Hébreux. Ces Juifs que l’on vous a peints comme des esclaves égyptiens révoltés contre leurs maîtres, n’ont point une pareille origine. Ils eurent pour ancêtres de vénérables mortels qui

  1. Renan, qui a si souvent médit de Chateaubriand, l’avait beaucoup lu et pratiqué, et il s’en est souvenu jusque dans la fameuse Prière sur l’Acropole : « Je suis né, déesse aux yeux bleus, de parens barbares, chez les Ciminériens bons et vertueux qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. » — Cf. ces lignes du récit d’Eudore, dans les Martyrs (liv. IX, édition originale, t, I, p. 298) : « L’Armorique…. région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards, retentissante du bruit des vents, et dont les côtes, hérissées de rochers, sont battues d’un Océan sauvage. »