Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’il l’ait été ou non, peu importe : le projet de M. Caillaux est un produit direct du socialisme ambiant, et les socialistes ont raison de le défendre. Aucun autre projet ne leur avait encore donné une satisfaction aussi complète. C’est bien parce qu’on y sent leur main, et parce qu’on connaît leur influence sur le gouvernement et sur les Chambres, que la tentative a paru menaçante. Dans un autre temps, on aurait regardé le projet de M. Caillaux comme l’élucubration d’un rêveur solitaire : il faut bien aujourd’hui le prendre au sérieux.

Nous n’avons pas l’intention d’en exposer le mécanisme en quelques pages de chronique : il sera l’objet ultérieur d’études plus complètes. Contentons-nous d’en fixer le caractère général. M. Caillaux a essayé de le faire lui-même en donnant lecture à la Chambre d’un exposé des motifs plein de belles promesses. Avec quelle force ne s’y est-il pas élevé contre toute idée d’introduire l’inquisition dans nos mœurs fiscales ! La Chambre n’a pas manqué d’applaudir à l’énergie de ces déclarations. Il était cependant facile de prévoir que, du moment où M. le ministre des Finances désavouait les principes de la Révolution française en matière d’impôts, et qu’il renonçait par exemple à ce qu’il a appelé le « régime indiciaire, » c’est-à-dire au système qui présume le revenu d’après les signes extérieurs, il serait obligé d’entrer partout, dans les maisons privées, dans les établissemens de commerce, dans les fermes, dans les banques, dans les sociétés de tous les genres, pour aller chercher, comme il le dit, le revenu à sa source même. Dès lors, la déclaration devait devenir obligatoire dans bien des cas ; la production des livres de commerce devait s’imposer comme la carte forcée ; l’inquisition enfin devait devenir la pièce maîtresse de nos institutions nouvelles. C’est ce qui n’a pas manqué d’arriver : mais la Chambre ne l’a pas compris tout de suite. Sans qu’on sache pourquoi, M. le ministre des Finances, après lui avoir lu complaisamment l’exposé des motifs de son projet, ne lui en a pas fait connaître le dispositif. Peut-être a-t-il eu tort, car chacun a pu l’étudier quelques jours plus tard à tête reposée, et alors la stupéfaction a été grande. On s’est aperçu que M. Caillaux était tombé en plein dans tous les dangers qu’il avait signalés lui-même, et auxquels il s’était fait fort d’échapper.

Il s’est étendu longuement, dans son exposé des motifs, sur le système analytique anglais qui consiste, comme chacun sait, à distinguer les uns des autres les divers revenus, à les diviser en cédules et à les frapper suivant des taux différens, — puis sur le système synthétique allemand qui consiste à frapper directement, d’un taux