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unique et progressif, l’ensemble du revenu de chaque contribuable. M. le ministre des Finances est parti de ce fait, qui lui semble évident, que tous les systèmes d’impôts sont bons, hors le nôtre, et que si la Révolution française a cru faire une œuvre durable, elle s’est trompée du tout au tout. L’œuvre a duré pourtant plus d’un siècle, et comme instrument fiscal, elle s’est montrée singulièrement efficace. Elle a suffi, après nos désastres, à nous donner 700 millions d’impôts nouveaux sans porter atteinte à la puissance de production du pays, ni à sa richesse. Ce sont là des qualités sans doute ; mais M. le ministre des Finances les apprécie peu ; il ne les trouve pas suffisamment scientifiques. Pour lui, l’œuvre de la Révolution n’a été qu’un expédient provisoire, pour lequel on peut plaider les circonstances, atténuantes. Ses préférences vont au système anglais et au système allemand. C’est une manie chez nous d’admirer l’étranger à notre détriment. Quelques-uns cependant y résistent, et nous sommes du nombre. Nous estimons notre système d’impôts, consacré par l’usage, infiniment meilleur, pour nous du moins, que ceux qui peuvent réussir dans d’autres pays. Nous nous en tenons à l’œuvre de la Révolution, avec les développemens qu’elle a reçus. Nous demandons qu’on la développe encore, c’est-à-dire qu’on la mette au point et qu’on l’adapte aux faits du jour, sans s’écarter de ses principes. Mais c’est ce que M. Caillaux ne nous concédera jamais, car les Anglais ! car les Allemands !…

Il les admire si fort, et d’une admiration si égale, que, ne parvenant pas à choisir entre eux, il propose d’emprunter à la fois leurs deux systèmes, et, non pas même de les combiner, mais de les juxtaposer dans un projet qui deviendra, on ne sait comment, vraiment français. M. Caillaux commence par frapper les divers revenus suivant le mode anglais, après quoi il frappe à nouveau le revenu global suivant le mode allemand, de sorte qu’il y en a pour tous les goûts, excepté sans doute pour celui du contribuable. S’il fallait choisir entre le système français, le système anglais et le système allemand, notre choix, nous l’avons dit, irait sans hésitation au système français ; mais s’il fallait à tout prix choisir entre l’anglais et l’allemand, nous nous résignerions à l’anglais, parce que c’est celui qui s’éloigne le moins du nôtre. Le nôtre, en effet, distingue lui aussi entre les divers revenus et les atteint séparément. À ce point de vue, on serait même tenté de dire que le projet de M. Caillaux change le nom de nos impôts directs plutôt que leur nature, s’il ne les multipliait pas et ne les compliquait pas d’une manière confuse et inutile, et s’il n’y