meilleur moyen de s’assurer du vrai sens, du sens intérieur et profond des mots. Une syntaxe exprime une « mentalité ; » un vocabulaire est une conception de la vie, et rien qu’aux mots dont ils se servent, ou à la manière dont ils les associent, on voit bien que les Grecs ou les Romains ne sont pas la même race d’hommes. Quant à la nature des difficultés que nous trouvons à les traduire, c’est-à-dire à faire de leurs idées des idées qui soient « nôtres » sans cesser d’être « leurs, » ne pourrait-on pas dire qu’elle mesure la différence qui sépare nos mentalités respectives ? Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’un traducteur ait pu quelquefois s’acquérir la réputation d’un écrivain original, et justement c’est le cas d’Amyot. Mais pour achever de nous rendre compte qu’il n’en était pas indigne, c’est ici qu’il nous faut insister sur le choix de son modèle.
Non pas que nous prétendions faire de Plutarque un jugement qui ne serait ni de notre compétence, ni de notre sujet. Et, pour cette raison, nous ne parlerons ni du « style de Plutarque, » par exemple, ni de la place ou du rang qu’il occupe dans l’histoire de la littérature grecque. S’il écrit mal en grec, d’une manière que l’on dit prolixe, composite ou bigarrée, et parfois incorrecte, il écrit fort bien dans le français d’Amyot, et sa prolixité même n’y manque pas de charme. Mais la grande raison de sa popularité, la raison pour laquelle il n’est guère d’ancien que l’on ait plus souvent traduit, c’est que, parmi les anciens, il est, avec Sénèque par exemple, et trois ou quatre autres, pas davantage, le plus abondant, et le plus amusant de ceux que l’on puisse appeler des écrivains « cosmopolites » ou universels. Les autres et, pour ne rappeler que les historiens, Hérodote ou Thucydide, Xénophon même, Tite-Live ou Tacite, sont Grecs ou Latins, et si nous voulons vraiment nous intéresser à ce qu’ils racontent, il nous faut, non seulement nous y appliquer tout exprès, mais encore avoir une curiosité particulière et personnelle des choses de la Grèce et de Rome. On ne s’intéresse pas d’abord, et, si je l’ose dire, on n’est pas tenu de s’intéresser, sans préparation, à la guerre du Péloponèse ou aux luttes séculaires de Rome contre les Samnites. Cependant, c’est précisément ce qui importe à Tite-Live et à Thucydide. Il n’en est pas ainsi de Plutarque. Ses Vies parallèles nous le montent s’intéressant le plus à ce qu’il y a sinon de moins grec dans la Vie d’Alexandre, ou de moins latin dans la Vie de César, mais