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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/39

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terre. » Mais enfin il changera, dit Bodin : ce sont encore formellement ses termes, et si on lui objecte que cependant les Romains de son temps vivent sous le même « climat » que les contemporains de Cincinnatus, il répondra que ce mot même de « climats » doit s’entendre d’une manière un peu large. Nous répondrons avec lui et pour lui, dans le langage de nos jours, que le « climat, » c’est le « milieu » ou l’ « ambiance ; » et nous ajouterons que la « théorie des climats » n’a vraiment d’importance qu’autant qu’elle est une introduction à la théorie du « changement » ou de l’ « évolution. » C’est ce que les rêveries astrologiques de Bodin ne l’empêchent pas d’avoir vu avec une lucidité singulière, et là encore est l’un des mérites de sa République. Voici à cet égard une page curieuse :


Tout changement est volontaire, ou nécessaire, ou mêlé de l’un et de l’autre, et la nécessité est naturelle ou violente. Car, combien que la naissance soit plus belle que la mort, n’est-ce toutefois que ce torrent de nature fluide ravissant toutes choses, — c’est nous qui soulignons l’expression à cause de son air de « modernité, » — nous fait connaître que l’un ne peut être sans l’autre : mais tout ainsi qu’on juge la mort la plus tolérable celle qui vient d’une vieillesse caduque, ou d’une maladie lente et presque insensible, ainsi peut-on dire que le changement d’une République, qui vient quasi de vieillesse, et après avoir duré une longue suite de siècles, est nécessaire, et non pas toutefois violent. Car on ne peut dire violent, ce qui vient d’un cours ordinaire et naturel à toutes choses de ce monde. Et tout ainsi que le changement peut être de bien en mal, aussi peut-il être de bien en mieux, soit naturel ou violent, mais celui-ci se fait soudainement, et l’autre peu à peu. [République, livre IV, ch. 1.]


A l’appui ou comme démonstration de la justesse de cette analyse, au cours de laquelle on le voit s’inquiéter de la fixation du sens des mots, volontaire, nécessaire, violent, naturel, en même temps que de faire un « dénombrement parfait » des distinctions que le sujet comporte, il cite Lycurgue, il cite Sylla, il cite « l’état aristocratique de Sienne, » il cite les Hébreux, les Syracusains, les Florentins, les Marocains, « après la mort d’Aben-Saïd, roi de Fez, » les Mamelucks d’Egypte, les Russes ou « Russiens, » et qui encore ? Et il y en a trop, il est vraiment prolixe ; sous la dictée de son érudition le volumineux in-folio s’enfle démesurément ; mais on ne peut méconnaître ce qu’il y a de presque « scientifique » dans cette accumulation de preuves, toutes concrètes et toutes positives, toutes tirées du spectacle et de l’expérience des choses humaines.