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un nom vil ou gracieux : il sera le petit lourdaud, le chien, la crevette, le mal bâti, le vilain chignon, le cloaque, ou il sera le désiré, la jolie fille, l’herbe odoriférante, la fleur de pêcher, le doux parfum de la forêt. La naissance est un événement, un tel « renouveau » que le père prend le nom de l’enfant comme s’il recommençait une existence. En Emyrne, sept jours après la nativité, s’accomplit la présentation de l’enfant à la lumière : on le tire de la case obscure où ont dormi les ancêtres pour lui en faire effectuer sept fois le tour. Un cortège le suit d’hommes portant une hache, une bêche, un fusil, une sagaie : la hache, afin qu’il soit un bûcheron ; la bêche, un cultivateur assidu ; le fusil, un vaillant soldat ; la sagaie, un prudent voyageur dans la forêt ; le couteau, un excellent boucher. On le promène ensuite sept fois autour du marché afin qu’il sache amasser dans l’avenir profits et richesses. Lorsque c’est une fille, les assistans la suivent avec une quenouille, une navette, une corbeille double, pour qu’elle aime l’ordre et ne perde point ses outils. Sous les yeux européens, ils ne mettent plus guère de croyance dans ces rites, encore que superstitieux, mais c’est toujours avec la même ardeur de gosier qu’ils crient : « Puisses-tu, petite fille, conquérir un beau village (un mari) ! »

La mère porte l’enfant noué dans une étoffe à son dos, ainsi chargée d’une bosse pareille à celle du bœuf malgache. Avec ce fardeau, on la voit piler le riz, s’élevant puis s’abaissant, le berçant au rythme du travail ; on la voit grimper les sentiers, emportant son petit à la façon du lémurien ; on la voit s’avancer sur les routes où elle cueille les fleurs pour en charger les mains du bambino noir. Chez certaines peuplades, elle retourne ses mains afin que, à la hauteur des reins, elles soutiennent les pieds de l’enfant accroché à ses épaules. Comme ainsi elle ne peut le bercer avec des mouvemens de bras, elle le berce d’un chantonnement imperceptible en changeant de pied sur place, dans une oscillation légèrement trépidante. L’enfant grandit ensuite, libre, abandonné, vite initié suivant les régions au travail des rizières, à la conduite des bœufs et des porcs sur les savanes fauves, aux pêches en pirogue, aux incendies de forêts, aux courses de pillage. Fureteurs et sauvages, les adolescens sont instinctivement portés à aimer les jeux guerriers. Au milieu du jour, devant les murs des cases dont midi brûlait la glaise rugueuse, sous des arbres qui ne projetaient qu’une ombre