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européennes, le poids d’un homme attaché à sa taille : elle est seule, détachée, sa stature jaillit et se moule librement dans l’air : le lamba retroussé à la poitrine laisse toute leur aisance aux bras qui ondulent dans un modelé mobile et aux mains qui jouent, théâtralement, miment avec une énergie subtile, exprimant de façon pressante la réalité dans le mystère qui maintient la bouche close, mordue. Elle ne tourne, ni ne bondit, ni ne court, elle glisse à petits pas très plats ; on voit à peine bouger le bas du corps ; imperceptiblement les hanches vibrent sous un torse impeccablement droit. Les paupières longuement baissées au bord des tempes où des anneaux de chevelure s’enroulent en serpens, les lèvres fermées sur un sourire aigu qui survit à l’effacement du regard, les joues comme endormies de calme dans l’ovale du visage stable, imposent un solennel caractère de recueillement. C’est une statue qui se déplace insensiblement, poussée scéniquement, à petits coups très doux, par la cadence d’une musique basse et saccadée. Les bras étendus horizontalement, marquant la mesure, s’élèvent et fléchissent ensemble,… séparément,… parfois suspendus dans un geste souverain qui, commandant alors tout l’orchestre, intercale une pause émouvante dans la représentation. Spectacle de beauté qu’ordonna l’homme instinctivement soucieux de pénétrer de mystère son amour. Isolant de lui la femme, il la dresse en face de ses yeux, il la regarde s’avancer lente et fatidique devant son désir, il voit son corps s’immobiliser sous une trépidation des bras qui la maintient, dirait-on, planante au-dessus de la terre. Par la danse, il réalise l’art d’adorer en la femme, compagne familière, un être lointain, une statue étrangère divinement fixée en attitudes sacrées, une idole impérieuse et muette, ne parlant que par les inflexions des hanches, les convulsions des mains magiques. Car, toute l’émotion secrète dont la musique et l’extase de l’homme emplissent alors la femme, ne se laisse anxieusement deviner que par le jeu des mains aux doigts serrés, tantôt présentées de face et ouvertes comme un livre, tantôt de profil et repliées comme une aile. Nerveuses, petites et fines, — mains qui tressent les nattes, tissent les dentelles, godronnent les chevelures, — elles se brisent pour se relever, se brisent pour se cambrer, au point qu’on croit entendre claquer, comme des castagnettes, poignets et phalanges, pour vibrer, papilloter frénétiquement, jetant par spasmes leurs sortilèges de fluide