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amoureux aux cerveaux malgaches si aisément hypnotisables. Évidemment, pour quiconque les a vues exécutées par les anciennes danseuses de la Reine dans la ville sainte d’Ambohimanga du Nord, au préau du Rova, sur le sol battu à l’ombre sacrée des aviavys, ces danses sont d’origine asiatique, et elles ne correspondent plus à la mentalité actuelle, plus fruste, du Malgache ; mais il reste dans sa torpeur d’esclave assez nerveusement raffiné pour y goûter l’art sans prurit de sensualité. Ayant perdu la religiosité des ancêtres, il laisse dans la danse la femme loin de lui pour qu’elle continue à allégoriser et à fixer un peu de sa religion ancienne, de son désir timide de la vie, de ses émois troubles et peureux devant le passé et l’avenir.


V. — LA POÉSIE ET LA MUSIQUE

C’est dans les fêtes que, sur la sourdine des instrumens de musique, le bavardage conteur du Malgache se module en chanson. « Il y a, — écrit M. Gautier, directeur de l’Enseignement à Madagascar, qui s’est trouvé y être un peu le conservateur des Beaux-Arts, — des chansons charmantes à écouter. Les indigènes ont un instinct très sûr de la technique chorale ; les voix sont agréables et se marient bien ; les airs sont jolis, simples et déconcertans, car les intervalles musicaux ne sont pas les mêmes que les nôtres. C’est l’air qui fait la chanson. » Les sujets des romances importent peu, car tout est bon à être mis en mélopée : le proverbe léger qui traverse l’esprit, une observation malicieuse inspirée par l’attitude d’un spectateur ou le passage d’un animal, des mots sur la blancheur du clair de lune indéfiniment répétés, des notations sur « l’eau claire et bleue de la forêt, » un souvenir incertain qui soulève mollement le cœur, un désir vague comme un soupir… mille impromptus. Le chanteur, la chanteuse chez les Sakalaves, improvise : un refrain repris en chœur par l’auditoire lui donne le temps de préparer le couplet suivant. Les motifs préférés de la sensibilité madécasse, ce sont des thèmes élégiaques, tout le cycle plaintif des séparations : l’enfant séparé de ses parens, l’homme séparé de son pays, l’amoureux séparé de l’amie, l’amie regrettant l’absence de l’amant. Les Malgaches organisent de grandes fêtes pour y prendre le plaisir enivrant d’entendre des airs tristes. Conformée pour les interminables récitatifs qu’on débite presque sans respirer, la voix