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porté maintenant par leur mère soit déshonoré ?… Tout cela est vague, inconsistant ; or, quand une pièce est brutale, elle devrait être vigoureuse.

Enfin, plus que partout ailleurs, dans un drame triste et dur, on doit nous épargner les violences inutiles. L’horreur y doit être en partie silencieuse, et ce qu’on nous dit moins terrible que ce qu’on nous laisse à deviner. On se lamente ici, on se querelle, on « s’attrape » trop bruyamment. Comment des murs « d’argile » résistent-ils à ce tapage ? L’un des plus graves défauts de la pièce de M. Emile Fabre, et celui que nous sommes le moins disposas à lui pardonner, c’est ce manque de mesure, de réserve et de sobriété.

Mais on voit comment une telle pièce complète le cycle du divorce. Du vaudeville à la tragédie bourgeoise, tout l’espace se trouve rempli. L’idée est d’ailleurs la même qui inspire tout le théâtre d’aujourd’hui, dès que le divorce est en question. Ici encore la femme, le premier et le second mari, les enfans, nous sont présentés dans le rôle qui leur est définitivement attribué. Il y a en littérature des cadres qui s’imposent à tous ceux qui, dans un même temps, traitent un sujet ou développent une question. Quiconque, au début du XXe siècle, porte au théâtre la question du divorce est amené, de force ou de gré, à prendre parti contre lui. Il faut qu’il l’attaque à la fois dans ses causes et dans ses conséquences, qu’il en démontre l’immoralité et dénonce en lui un péril social. Il faut qu’il appelle des fantaisies de l’individu à l’intérêt de la collectivité ; il faut qu’il oppose aux droits les devoirs, qu’il fasse de la femme une égoïste, de l’enfant une victime, du premier mari un excellent homme infiniment intéressant, et du second mari un coquin… C’est le parti pris exactement contraire à celui qui avait cours au théâtre, alors que la loi n’admettait pas le divorce ; c’est celui où se rangent maintenant auteurs et public. Et c’est ainsi qu’un « poncif » chasse l’autre.

L’interprétation de la Maison d’argile ne sauve pas la pièce. Mme Segond Weber, chargée du rôle de Mme Armières, y fait des efforts aussi louables que malheureux. Il lui faut la draperie antique ou le trémolo du mélodrame. Elle est dépaysée dans le répertoire moderne et bourgeois. M. Grand a fait du fils, Jean, une sorte de taureau qui voit rouge et qui fonce. Rien à dire de M. Leitner et de M. Fenoux qui ont des rôles si ingrats ! Seule Mme Lara s’est montrée tout à fait à son-avantage dans le rôle de Valentine, la déshéritée.


RENE DOUMIC.