Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheureusement il était trop tard. Telle était du moins l’opinion d’Auguste. Auguste était bien d’avis qu’il était nécessaire de consolider en Orient la domination romaine qui chancelait, mais non en ayant recours aux représailles et aux guerres théâtrales que l’Italie désirait. Il connaissait le secret d’Actium ; il savait qu’il n’avait osé se poser en champion du nationalisme italien que quand Antoine, par des fautes incroyables, avait déjà détruit lui-même sa propre puissance ; il savait que c’était sans combattre qu’il avait triomphé dans la dernière guerre civile. Les événemens au milieu desquels il s’était trouvé dans les dernières années, l’avaient donc amené à une conviction qui seule peut expliquer la politique extérieure de ses dix premières années de présidence : c’était que Rome avait été trop épuisée par les guerres civiles, pour pouvoir continuer, même à la tête de l’Italie et des provinces d’Occident, dans tout l’Orient, depuis le Pont jusqu’à l’Egypte, la politique brutale et autoritaire avec laquelle, dans sa féroce virilité, elle avait dompté, l’un après l’autre séparément, les grands et petits États de l’Orient. Vieillie à son tour, Rome serait en Orient impuissante contre une nouvelle coalition comme celle qu’avait tentée Cléopâtre, si on ne retombait pas dans les fautes commises par Antoine. Si Antoine avait suivi le conseil de Cléopâtre ; si, après avoir fondé le nouvel empire, au lieu de porter la guerre à Octave en Europe, il avait attendu que Rome vînt l’attaquer en Orient pour reconquérir les provinces perdues, qu’aurait pu faire Octave ? Aurait-il osé porter la guerre en Orient au nouvel et formidable empire ? Il fallait donc que Rome reconnût sa faiblesse en Orient, et que, comme tous les États et les partis qui vieillissent, elle cachât habilement cette faiblesse sous un beau voile de générosité et de bonté, en commençant à traiter avec plus d’humanité les provinces qu’elle ne pouvait plus dominer par la seule force[1].

L’organisation de l’Egypte qui fut certainement imaginée et proposée par lui et qui, bien que les historiens ne s’en soient pas rendu compte, fut la véritable innovation révolutionnaire introduite par les guerres civiles dans la République, et sanctionnée

  1. Le voyage qu’Auguste fit en Asie en l’an 21-20 et dont nous parlerons dans le cinquième et dans le sixième chapitre, nous fera voir que telle fut bien la pensée qui inspira sa politique orientale.