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définitivement par la restauration de l’an 28 et de l’an 27, avait été le premier essai de cette nouvelle politique orientale. Pour la première fois dans l’histoire de Rome, la nouvelle conquête n’avait été ni placée sous une dynastie vassale, parce que l’on craignait d’y voir apparaître quelque nouvelle Cléopâtre, ni déclarée province romaine, parce qu’on n’était pas sûr que l’Égypte s’accommoderait du gouvernement d’un proconsul. La monarchie légitime avec son prestige séculaire, sa présence continuelle, son œuvre assidue et complexe de corruption et de répression, n’avait pu réussir, dans les cinquante dernières années, à maintenir l’ordre. Les soulèvemens populaires, les conjurations de palais, les guerres civiles, n’avaient cessé de bouleverser l’Égypte. Comment croire qu’un obscur sénateur, choisi presque tous les ans et au hasard à Rome, y réussirait, avec trois légions dont l’une était à peine suffisante pour la police d’Alexandrie[1] ? Rome était trop haïe et discréditée en Orient et surtout en Égypte. Auguste, imitant la politique d’Antoine, avait donc imaginé d’élever en Égypte une espèce de grossier fantoche dynastique, derrière lequel le représentant républicain de Rome pourrait se cacher[2]. Il gouvernerait l’Égypte au moyen d’une magistrature à double face, qui présenterait à l’Italie un visage républicain, à l’Égypte un visage oriental et monarchique, comme Antoine avait déjà tenté de le faire. Auguste et le præfectus Ægypti nommé par lui, s’entendraient pour jouer ces deux rôles et remplir cette double magistrature : Auguste, qui n’était en Italie que le premier citoyen de la République, serait aux yeux des Égyptiens, pendant ses dix nouvelles années de présidence, le successeur des Ptolémées et le nouveau roi d’Égypte, vivant loin d’Alexandrie, parce qu’il était obligé de diriger de Rome un plus vaste empire. Le præfectus serait pour les Egyptiens une sorte de vice-roi, tandis que les Italiens pourraient voir en lui l’ancien magistrat que Rome envoyait gouverner les villes de l’Italie soumises pendant les premiers siècles de la conquête. Comment l’homme qui n’osait même pas déclarer l’Égypte province romaine aurait-il

  1. Strab., 17, 1, 12 (797).
  2. Tacite, Hist., I, II, dit nettement dans un passage important que ce fut là le but du régime tout à fait particulier imposé à l’Égypte : « équités romani obtinent loco regum : ita visum expedire, provinciam aditu difficilem, annonæ fecundam, superstitione ac lascivia discordem et mobilem, insciam legum, ignaram magistratuum, domi retinere. » Voyez Bouché-Leclercq, Histoire des Lagides, Paris, 1904, vol. 2, p. 351.