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et un magistrat romain. Depuis cinquante ans, les historiens ne voient dans tous ces actes qu’une comédie. Il faut cependant réfléchir qu’Auguste très probablement connaissait Rome et l’Italie de son temps aussi bien que les professeurs d’histoire d’aujourd’hui. Il savait donc que l’orgueil impérial et la fierté républicaine étaient les deux sentimens qui étaient en lutte dans l’âme de la nation ; qu’on pouvait, en donnant satisfaction à l’un, blesser l’autre, mais qu’on ne pouvait pas leur faire violence à tous les deux à la fois. Le conquérant de la Perse aurait peut-être pu détruire la République sans courir de trop grands dangers ; non Auguste qui ne voulait pas se risquer dans une pareille aventure.

Et encore si le public ne lui avait réclamé que les trophées d’une éclatante victoire sur la Perse ! Mais le malentendu entre Auguste et l’Italie ne se bornait pas à cette question. Le public ne cessait pas de lui réclamer mille autres choses que la dictature elle-même n’aurait pas pu donner à la République. On lui demandait la paix intérieure, l’ordre à Rome, la tranquillité en Italie, le fonctionnement parfait de la nouvelle constitution. Il semblait naturel à tout le monde que le nouveau magistrat, placé à la tête de la République, mît un frein à toutes les forces révolutionnaires, qui au siècle précédent avaient si affreusement déchiré la constitution ; qu’il obligeât l’aristocratie et l’ordre équestre, rentrés en possession de leurs anciens privilèges, de s’acquitter de leurs devoirs avec zèle ; qu’il fit enfin fonctionner avec régularité les organes de la constitution, les comices, le Sénat, les magistratures, les tribunaux. Mais Auguste n’avait aucun moyen de faire toutes ces choses. A Rome et en Italie il ne pouvait exercer que l’autorité consulaire. Etablie à une époque où tout était plus simple, plus petit, plus facile, cette autorité était beaucoup trop faible pour les besoins présens ; elle ne disposait même pas d’une force de police pour maintenir l’ordre dans la métropole. Désireux de remplir les fonctions de consul en s’en tenant strictement à la constitution, Auguste avait envoyé loin de Rome les cohortes prétoriennes dont il avait à titre de proconsul le droit de s’entourer quand il prenait le commandement des armées ; et il était bien décidé à ne jamais appeler les soldats à Rome, comme on l’avait fait malheureusement si souvent pendant le triumvirat. Ainsi pour maintenir l’ordre à Rome, dans une ville cosmopolite, pleine de misérables et de