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donc osé tenter la conquête de la Perse après les deux grands échecs de Crassus et d’Antoine ? D’ailleurs, pour conquérir la Perse, il fallait autre chose que les belles odes d’Horace ; il fallait, selon les calculs de César, au moins seize lésions et de très grosses sommes d’argent. Mais maintenant que l’armée était réduite à ses vingt-trois légions qui suffisaient à peine à tenir l’Empire sur la défensive, il n’était plus possible d’en expédier seize vers ce pays dont Crassus n’était pas revenu.

Ce n’était donc que par une sorte d’illusion contagieuse que l’Italie voyait toutes ses aspirations personnifiées dans Auguste. L’accord entre la nation et le premier magistrat de la République n’était qu’apparent. Dans une question capitale comme la politique orientale, le désaccord était irréductible. L’Italie poussait Auguste sur la route déjà parcourue par Crassus et par Antoine ; et Auguste au contraire voulait abandonner la Perse aux poètes pour qu’ils en fissent la conquête sur le papier aussi souvent qu’il leur plairait. Et ce désaccord suffirait, à lui seul, à nous faire considérer comme tout autre chose qu’une comédie politique la modération constitutionnelle d’Auguste. Depuis Crassus, la conquête de la Perse avait été la justification de tous les coups d’Etat projetés ou réalisés : c’est par elle que César avait espéré justifier la dictature et Antoine le triumvirat. Auguste au contraire, qui ne voulait point s’aventurer à aller chercher dans le lointain Orient les trophées promis par César et par Antoine, se proposait véritablement, et par nécessité et par sagesse, et non pas par duperie ou par un excès d’idéalisme républicain, d’exercer simplement et constitutionnellement le consulat à Rome et le proconsulat dans ses trois provinces, en dissimulant du mieux qu’il pourrait ce cumul de ses deux pouvoirs, consulaire et proconsulaire, qui, avec la præfectura Ægypti, était la plus grave innovation contenue dans les réformes de l’an 28 et de l’an 27. Il s’était donc hâté, aussitôt après le 16 janvier, de refuser tout honneur nouveau ; il avait cherché à calmer les admirateurs fanatiques[1] ; il s’appliquait à montrer, avec tous les moyens à sa disposition, qu’il voulait gouverner avec le Sénat[2] ; il s’efforçait enfin de ramener à des proportions raisonnables l’idée que l’on s’était faite de lui et de sa puissance, de persuader à ses concitoyens qu’il n’était qu’un sénateur

  1. Dion, 53, 20.
  2. Dion, 53, 21.