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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/539

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chose était facile à dire, mais malaisée à réaliser. Auguste, quant à lui, aurait été assez disposé à satisfaire les nouveaux puritains. Il était ce que nous appellerions aujourd’hui un traditionaliste sincère, par tempérament, par persuasion et par tradition ; il préforait la simplicité et la parcimonie au luxe et à la prodigalité ; il était un admirateur de Cicéron ; enfin il était né dans une famille de bourgeoisie provinciale, et il avait fréquenté la partie de l’aristocratie romaine où l’on était le plus attaché à la tradition. Sa femme aussi, Livie, qui a exercé toujours une si grande influence sur lui, appartenait à une de ces familles. Mais Auguste, comme tous les hommes intelligens de son époque, connaissait trop à fond la dissolution morale des classes supérieures, de celles surtout que l’on pourrait appeler, avec un écrivain italien moderne[1], la classe politique, pour qu’il pût croire à la possibilité d’une réforme radicale des mœurs. Si tous les admirateurs du bon vieux temps réclamaient, comme Horace, des mesures sévères et des lois contre la corruption, un autre poète. Properce, poussait alors un grand cri de joie, parce qu’on venait d’abolir, en même temps que tant d’autres lois faites pendant les guerres civiles, une loi promulguée, nous ne savons quand, par les triumvirs, et qui tendait à obliger les citoyens à se marier :


<poem>Garisa es certe sublatam, Cynthia, legem, Qua quondam edicta, flemus uterque diu[2]...

  1. Gaetano Mosca.
  2. Prop., 2, .5, 1 et suiv. Jörs (Die Ehegesetze des Augustus, Marburg, 1894, p. 5 et suiv.) me parait avoir raison d’affirmer que ce passage se rapporte à cette époque-là, mais je crois qu’il a tort de supposer, en s’appuyant sur un passage de Tacite (Ann., 3, 28), qu’en l’an 28 av. J.-C. Auguste fit approuver une loi sur le mariage. Les termes employés par Tacite, acriora ex eo vincla, sont trop vagues : ils signifient simplement qu’avec son sixième consulat, Auguste commença à rendre de la vigueur à la discipline des mœurs, mais sans faire allusion à une loi. En outre, Properce dit que la loi quondam edicta avait été sublata. Est-il possible qu’en l’an 28 Auguste ait fait une loi, puis l’ait aussitôt abrogée ? L’abrogation d’une loi n’était pas une médiocre affaire à Rome. A la fin des guerres civiles, Auguste se montra lent et prudent quand il s’agissait de proposer des lois, mais il les maintenait fermement quand elles avaient été approuvées. S’il avait en quelques mois fait et défait une loi, il aurait fallu pour cela des motifs graves, et nous en aurions sans doute su quelque chose. Il me paraît plus probable que Properce fait allusion à quelque disposition prise par Octave dans les derniers temps du triumvirat, alors qu’il était investi de la puissance triumvirale, disposition qui se trouva abrogée en l’an 28, avec toutes les dispositions qui n’étaient pas conformes à la constitution, c’est-à-dire avec les lois qui n’avaient pas été approuvées par les comices. Properce aurait ainsi raison de parler d’une loi qui fut quondam edicta (par le triumvir en vertu des pouvoirs qu’il possédait), et qui fut ensuite sublata (par le grand acte réparateur). S’il s’agit d’une disposition triumvirale, on comprend qu’il n’en soit pas resté de traces : on avait dû prendre beaucoup de ces dispositions, pendant les guerres civiles, pour chercher à arrêter la dissolution sociale qui menaçait de tout emporter ; mais personne ne les observait.