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Tandis que tout le monde voyait déjà en imagination les grandes victoires que les armes romaines devaient remporter sur les Parthes, ce poète confessait ingénument à sa maîtresse son égoïsme civique :


Unde mihi Parthis natos præbere triumphis ?
Nullus de nostro sanguine miles erit[1]...


Il l’avouait sans qu’on lui en fit honte, sans perdre la faveur de l’aristocratie qui l’admirait, sans s’attirer la colère de Mécène qui le protégeait. Si Horace cultivait la poésie civile et religieuse, Properce et un autre poète, également cher à l’aristocratie, Tibulle, cultivaient avec non moins de succès la poésie érotique qui, dans certaines conditions, peut devenir une force de dissolution des sociétés fondées sur une forte organisation de la famille. Enfin, un autre écrivain, Tite-Live, à cette même époque donnait comme base à sa grande histoire de Rome la conception traditionnelle de l’État et de la morale, qui était alors tant à la mode, mais sans croire qu’elle aurait aucune chance de l’emporter, dans sa lutte contre l’invincible force de corruption qui agissait dans les choses. Il déclare qu’il s’est plongé dans l’étude du passé, pour oublier les malheurs du présent, pour ne pas voir, dans son époque, cette épouvantable confusion de désirs, d’aspirations, d’intérêts contradictoires, par laquelle on ne savait plus supporter ni le mal dont on souffrait, ni les remèdes qui auraient été nécessaires pour en guérir. Nec vitia nostra nec remédia pati possumus. Cette phrase définit si bien l’étrange situation morale et sociale de cette époque, elle jette un jour si lumineux sur toute la politique d’Auguste pendant les dix premières années de sa présidence, que je suis tenté de la considérer non pas comme une réflexion personnelle de Tite-Live, mais comme un résumé des longues discussions qu’Auguste et ses amis avaient ensemble au sujet des conditions de l’Italie. Tite-Live a pu y être présent quelquefois.

  1. Properce, 2, 6, 13.