Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les gens, de se montrer au-dessous de l’opinion exagérée qu’on se faisait de lui et de sa puissance. Il n’était pas possible d’effacer en quelques mois les souvenirs de vingt ans de guerre civile. Au Sénat, les restes de l’aristocratie, les survivans des proscriptions et de Philippes, les fils ou les neveux des victimes de la révolution retrouvaient auprès d’eux, sur les mêmes bancs, ornés des mêmes emblèmes, les centurions et les aventuriers qui étaient entrés au Sénat après Philippes, s’étaient emparés des biens de leurs pères, avaient fait périr leurs parens les plus chers et avaient ruiné la puissance séculaire de leur classe. Si la noblesse survivante consentait à considérer comme ses pairs les grands chefs de la Révolution, les Mécène, les Agrippa, les Pollion, dont la gloire, la richesse, la culture intellectuelle faisaient oublier la naissance, elle s’obstinait en revanche à considérer les autres sénateurs obscurs comme des hommes qui avaient usurpé les dignités et les patrimoines d’autrui. Vivre à Rome comme consul, présider les séances du Sénat, se tenir au milieu des uns et des autres sans blesser personne, était chose extrêmement difficile. En outre, — et c’est une considération de moindre importance pour nous, mais non pour Auguste, — l’exemple de César l’avertissait que ni l’admiration populaire, ni les charges, ni les licteurs, ni l’inviolabilité attachée à la charge de tribun du peuple, n’étaient une protection suffisante contre le coup de poignard de quelque Brutus attardé, contre lequel on ne pourrait à Rome prendre des précautions trop apparentes sans offenser le sentiment républicain. L’usage permettait d’avoir des esclaves germains et gaulois, pour défendre sa maison et sa personne ; Auguste en profitait ; mais, même en prenant de telles précautions, il devait se préoccuper de ne rien faire de plus que les autres sénateurs, bien que le danger fût beaucoup plus grand pour lui que pour eux.

Au mois de mai, quand eurent lieu les fêtes latines, qu’il devait présider à titre de consul, il ne se montra pas, sous prétexte qu’il était malade[1]. L’était-il véritablement, ou était-ce une feinte pour ne pas s’aventurer sans défense au milieu de la foule en fête ? Les élections eurent lieu ensuite très tranquillement, et sans que l’ordre fût troublé. Les beaux temps de la République semblaient revenus. Il est probable que ceux-là seuls se présentèrent

  1. C. I. L2, p. 58.